2009/11/08 - Conférence-débat - "A l’école de la rue"

attention open in a new window ImprimerE-mail

Avec Jean Guilhem Xerri, président de l’Association ‘’ Aux Captifs la Libération "

 

Comment le Chrétien est interpellé, comment se positionne-t-il face à cette situation permanente des personnes de la rue, situation rendue encore plus aigue par la crise économique ?

 

Exposé : L’association ‘’Aux Captifs la libération‘’ a été fondée en 1981 par le Père Patrick Giros et comprend aujourd’hui environ 170 bénévoles et 50 salariés. Son but est d’aller à la rencontre et d’accompagner les personnes de la rue dans toutes leurs dimensions (corps, âme, sociale, et sprituelle), et ce avec un ancrage ecclésial. En effet, l’association a une implantation dans différentes paroisses et un lien fort avec elles et des institutions à caractère caritatif. Les personnes rencontrées sont en situation d’exclusion, de prostitution ou sont des jeunes ou des enfants. La mission de l’association repose sur un triptyque :

  •  travail de la rue : contacts, permanences, accueil.
  •  programme de rupture : temps offert pour rompre momentanément avec la rue.
  •  lien avec l’Eglise et les pouvoirs publics pour les enjeux à relever.

 

Aujourd’hui, la mondialisation se voit sur les trottoirs, et parmi les ‘’SDF’’, nous devons distinguer :

  •  ceux qui sont dans la rue depuis plus de 20 ans
  •  ceux qui sortent de prison ou d’hôpital psychiatrique
  •  les migrants, soit implantés définitivement, soit en transit
  •  les jeunes femmes.
  •  les prostituées : souvent de très jeunes femmes, la plupart victimes de l’esclavage sexuel, de la brutalité des réseaux, en provenance de l’Europe de l’Est, d’Afrique ou d’Asie. Egalement des hommes jeunes (souvent des nationaux) travestis, ou transsexuels, blessés, moqués, en quête d’identité.
  •  les enfants et les jeunes : souvent mineurs, isolés, étrangers (environ 50% d’Afghans). Egalement des nationaux, en rupture avec le milieu familial, déscolarisés, sans projets, errant en bandes et souvent dépendant aux drogues et à l’alcool.

 

Toutes ces personnes doivent être remises en perspective, en tenant compte du caractère évolutif de la réalité de la rue. Si au début des années 1970, nous rencontrions des bandes de ‘’jeunes loubards’’ dans les rues, l’arrivée de la drogue a bouleversé le paysage en touchant les plus fragiles et en apportant les différentes maladies. Dans les années 1980, à la suite du choc pétrolier, un chômage de masse a conduit à la rue des hommes en rupture professionnelle. Puis avec l’explosion du bloc soviétique, ce sont des réseaux d’hommes et de femmes qui sont apparus. L’accélération de la mondialisation a bousculé le paysage de la rue : de national, puis européen, il est devenu international.

 

Cette évolution entraîne 3 questions principales :
 le logement, les migrations, la souffrance psychique.

  •  Le logement : ce n’est pas une simple question financière ou immobilière. Le vrai problème, c’est l’exclusion : il ne suffit pas d’avoir un toit ; nous ne savons plus ‘’entrer en relation’’. 
  •  Les migrants : leur situation est aggravée par les problèmes de langue, de culture, d’absence de liens familiaux, de problèmes sanitaires. 
  •  La souffrance psychique : 30 à 50% présentent des troubles psychiques au sens médical et 100% ont un problème de questionnement existentiel : l’exclusion détruit l’identité même de la personne et la possibilité d’entrer en relation.

 

L’exclusion est une suite d’étapes de vie, une suite de ruptures : on descend progressivement dans la rue, on n’y ‘’tombe’’ pas, même si cette expression est utilisée pour mieux signifier la rupture totale. Dans la rue, l’espérance de vie est de 45 ans, et pour une semaine dans la rue, on compte 6 mois pour en sortir. La rue déconstruit, déstructure…

 

L’association propose des points de repère pour son action :  la fidélité, la gratuité, l’inconditionnalité, la prise en compte de toutes les dimensions.

 

Ces 4 points de repère sont profondément liés : 

  •  la fidélité : les tournées dans les rues en binôme se font toujours avec la même personne, sur un même parcours, au même horaire : cette fidélité est efficace et féconde. 
  •  la gratuité : pour celui qui vit dans la rue, la gratuité n’existe pas. L’association visite donc ‘’à mains nues’’ pour favoriser la rencontre de personne à personne, mettre en œuvre une relation de ‘’pauvre à pauvre’’, venir uniquement pour eux et juste pour eux ; ils ont perdu l’habitude d’une telle rencontre. 
  •  l’inconditionnalité : l’association va vers chacun, souvent vers les plus ‘’cassés’’, et parfois même accompagne des fins de vie. 
  •  l’accompagnement global de la personne : l’important, ce ne sont pas les problèmes à résoudre, mais des personnes à rencontrer : la relation avant la prestation ; il faut construire la relation, accompagner ces personnes dans leurs interrogations et leurs discernements existentiels.(phrase entendue par un bénévole : ‘’ Je me suis levé, parce qu’un jour j’ai senti que quelqu’un ne voulait pas que je meure’’.)

 

L’association propose aussi un accompagnement social, médical, spirituel et offre des propositions cultuelles d’où l’importance de l’ancrage dans les paroisses (temps de prière, retraites, pèlerinages) ‘’ Avoir une âme, ce n’est pas sous condition de ressources ! ‘’ Cet ancrage paroissial est également important pour les communautés paroissiales : nous sommes interpellés en tant que baptisés ; cette rencontre nous transforme et pointe nos difficultés à regarder ‘’l’autre’’. Pour une paroisse, c’est un enjeu collectif.

 

Parmi les questions posées

  •  L’articulation avec les autres associations de rue. La collaboration se fait avec le Samu pour l’hébergement, avec les urgences médicales pour une prise en charge psychiatrique, et avec les autres visiteurs, suivant les quartiers de Paris. A l’heure actuelle, se dessine une évolution vers un référent unique (qui existe déjà aux Etats-Unis)
  •  Une question sur l’Hôpital et le rôle qu’il peut jouer. De nos jours, l’hôpital a perdu sa fonction première d’hospitalité, d’asile. Les consultations sont difficiles à organiser, les prises en charge psychiatriques sont inexistantes. Rue et prison sont les principales causes des urgences psychiatriques L’association dispose de réseaux auxquels elle peut adresser des malades. Sa mission n’est pas de soigner, mais de ‘’prendre soin’’.

 

Une personne de l’assemblée paroissiale a évoqué un sujet développé en Conseil Pastoral en lien avec la crise économique : « Comment se rendre proche des personnes en difficulté ? » JG Xerri nous a conseillé d’être attentifs à nos voisins car beaucoup de personnes sont pour le moment au seuil de la pauvreté. Il s’agit de créer une proximité

 

Une personne de l’assistance, praticien à la retraite, a souligné que les médecins qui intervenaient tels JG Xerri et André Bonnefond, ne devaient pas prodiguer des soins, mais « prendre soin » des personnes rencontrées.

 

  •  A la question du Père Rémy demandant si tous les bénévoles étaient catholiques, J.G Xerri répond par l’affirmative : tous sont des catholiques mais ils ne vont pas à la rencontre de l’autre dans un but d’évangélisation ; ils vont pour prendre soin, pour rencontrer, c’est une évangélisation de rue.
  •  Pourquoi le nom de l’association ‘’ Aux captifs, la libération’’ ? Une consonance laïque d’une part et une référence à Isaïe (ch 61, 1-2) et Luc (ch 4, 18-20)
  •  Quelle prévention ? la veille, la vigie ; c’est dans notre voisinage que nous devons être attentifs, prendre soin ‘’en amont’’ pour réhumaniser la société : l’autre vaut la peine…