2009/02/08 - Conférence-débat - Le Vatican et les intégristes : quels chemins de réconciliation?

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Le Père Rémy a introduit la conférence en précisant qu'elle s'inscrit dans le cycle de conférences de la Collégiale qui permettent de revenir et de réagir sur un sujet qui touche l'Eglise et qui a été largement commenté dans les médias. Philippe Casassus nous rappelle les faits tels qu'ils ont été relatés dans la presse. Fabrice Moracchini, professeur de géo-politique nous a fait prendre conscience du mouvement amorcé par le pape envers les intégristes comme faisant partie d'une réflexion beaucoup plus large et plus complexe que ce que les médias ont répercuté.

Philippe Casassus nous rappelle le sujet qui a déclenché la polémique. Il s'agit de la levée de l'excommunication des quatre évêques de la fraternité saint Pie X, demandée par Mgr Folley, leur supérieur.
Le jour de son avènement, le pape a formulé très clairement qu'il voulait éviter la perpétuation d'un vrai schisme. Cet événement est arrivé en pleine semaine de prière pour l'unité des chrétiens. Lors de la rencontre œcuménique d'Assise de 1988, le pape a évoqué Monseigneur Lefebvre, comme un événement douloureux.
Il ne s'agit pas d'une réintégration des évêques mais plutôt de la levée de l'excommunication qui était demandée par ces évêques. Il s'agit d'un geste préalable mais important qui permet d'ouvrir le dialogue pour aller plus loin.  Ces évêques ne sont pas reconnus comme détenteurs d'un diocèse.
L'épiscopat français a réagi. Le cardinal Ricard a précisé qu'il ne s'agit pas d'une fin mais d'un début d'un processus de dialogue. Mgr Vingt trois XXIII, a ajouté que ce décret concerne seulement les cas personnels de quatre évêques. Benoît XVI attend un engagement de leur part portant sur la reconnaissance du concile Vatican II.
La veille du jour où devait être publié le décret du cardinal Rey, une télévision suédoise a rediffusé les propos clairement négationnistes de Mgr Williamson, un des quatre évêques concernés. Le pape connaissait sans doute ce discours. Mgr Williamson ne veut à aucun prix la réconciliation avec Rome. Il espérait ainsi faire torpiller le processus.
Le pape a été sali par cet évènement. Il a toutefois précisé qu'il espérait  que " la mémoire de la Shoah poussera l'humanité à réfléchir sur le pouvoir visible du mal lorsqu'il conquiert le cœur de l'homme ".

Fabrice Moracchini a précisé que ces évêques ont refusé la totalité du concile dès les années 60. Mgr Lefebvre a rompu définitivement avec l'Eglise en ordonnant des évêques, sachant que sa démarche entraînerait son excommunication automatique par Jean Paul II. Benoît XVI veut revenir sur ce schisme.
Il s'agit à la fois d'une question politique, liturgique et théologique - ce qui la rend particulièrement complexe et apte à toutes les déformations partisanes. L'intention du Pape est en effet de reconstituer l'Eglise universelle sous le magistère de Rome mais à partir de la réaffirmation de l'unité de l'Eglise apostolique primitive (ce qui naturellement ne plaît pas aux protestants calvinistes et aux catholiques conciliaires proches de ceux-ci). Son intention semble être de revenir sur les causes de tous les schismes qui ont dégradé l'unité de l'Eglise depuis le XIe siècle jusqu'à la fin du XXe, et partant de faire bouger des lignes demeurées inchangées depuis quarante ans - ce qui va à l'encontre de l'image médiatique d'un pape conservateur et immobiliste.
En ce qui concerne les traditionalistes, une partie n'a pas suivi Mgr Lefebvre en 1988 et est demeurée à l'intérieur de l'Eglise de Rome. Il s'agit de la Fraternité-saint-Pierre, créée précisément avec l'appui de l'ancien cardinal Ratzinger, laquelle a reçu l'autorisation par Jean Paul II de continuer à pratiquer le rite de Saint Pie V en latin. C'est donc eux qui ont logiquement servi d'intermédiaires pour la réconciliation voulue par le Pape avec la Fraternité-saint-Pie-X.
Benoît XVI, en réalité, est revenu dans son motu proprio sur ce qui avait servi d'alibi à Mgr Lefebvre, il y a vingt ans, pour justifier son schisme, à savoir qu'il a définitivement libéralisé le rite de Saint Pie V, sans soumettre celui-ci à la possibilité d'un potentiel refus de la part des évêques. La messe en latin se trouve dès lors pleinement réintégrée dans la vie officielle et assumée de la liturgie catholique romaine.
Mgr Williamson, à l'origine du scandale, est un catholique lefebvriste de nationalité britannique qui veut empêcher à la fois la réconciliation entre les traditionalistes et les catholiques conciliaires et celle entre Rome et la High Church anglicane, car cela l'obligerait à être intégré, en tant que prélat catholique anglais, à l'intérieur de celle-ci. Autrement dit, il deviendrait alors tributaire de la double autorité du Pape, à Rome, et de celle de l'archevêque anglican qui constituerait, en lieu et place de l'Archevêque de Canterbury, la plus haute autorité ecclésiastique de cette nouvelle église uniate (" catholique de rite anglican ", selon la terminologie que veut faire adopter Benoît XVI).
Un des projets du Pape est en effet, parallèlement à la levée de l'excommunication pesant sur les évêques nommés par Mgr Lefebvre, de négocier une sorte d'intégration de la High Church à l'intérieur de l'Eglise romaine et de lui accorder le statut de la plupart des Eglises orientales. Cela implique de rompre une ligne qui a été celle de l'Eglise depuis Vatican II, selon laquelle les positions entre le catholicisme et le protestantisme restent figées.
La High Church est née officiellement à la fin du XIXe siècle avec le mouvement d'Oxford lancé par Henry Newman (qui a rejoint ensuite l'Eglise romaine et est devenu cardinal) et plusieurs intellectuels tels que John Keble, Richard Froude ou Edward Pusey qui, eux, sont restés anglicans. Toutefois, elle procédait au départ d'une volonté de retour à l'Eglise anglicane d'Henry VIII, qui était restée de théologie et de rite romains, avant que sa fille Elizabeth Ière, sous l'influence du calviniste Cranmer, ne veuille en faire une voie médiane entre l'Eglise catholique et les Eglises réformées (à savoir, plus d'eucharistie comme chez Calvin mais maintien du principe de la succession apostolique comme à Rome).
Le projet est d'envergure car il est évident que si la High Church se sépare de l'Eglise anglicane pour adhérer à l'Eglise romaine, cela va susciter un certain émoi dans le protestantisme anglo-saxon. D'autant que l'Eglise anglicane est elle-même au bord du schisme, en raison de l'ordination des femmes pratiquée depuis dix ans et de la récente nomination d'un évêque homosexuel aux Etats-Unis.
Il faut donc bien voir que cette question de la fin du schisme et de la réintégration de l'ensemble de l'Eglise traditionaliste, y compris celle schismatique des héritiers de Mgr Lefebvre, à l'intérieur de l'Eglise romaine s'inscrit dans une vision du Pape qui va également de pair avec la politique qu'il a entreprise de réconciliation avec les Eglises orthodoxes de rite grec.
Il y a donc bien une volonté de reconstituer l'unité de l'Eglise catholique apostolique, puisque les catholiques, les orthodoxes et les anglicans de la High Church constituent les fidèles des trois grandes Eglises qui pratiquent l'Eucharistie comme étant la manifestation de la présence réelle et concrète du Christ. A cet égard, la démarche de Benoît XVI marque une rupture très nette avec la politique de ses trois prédécesseurs.
La première question qui fait débat en ces matières est celle de l'universalité de la foi : autrement dit, quelle doit être l'attitude de l'Eglise catholique et, au-delà, de tous les chrétiens vis-à-vis des religions et des peuples qui n'ont pas reçu la révélation du Christ sauveur.
Il y a sur ce sujet deux visions antagonistes que le concile a bousculées : d'une part, celle des lefebvristes (un catholicisme " de droite ", si l'on veut), qui consiste à rester sur une version intransigeante de la primauté du catholicisme et prétendre qu'il n'y a de salut que par l'Eglise, tous les infidèles étant voués à la damnation (alors que le concile a précisé qu'aucune période de l'humanité ne pouvait être coupée du salut promis par l'incarnation divine) ; d'autre part, celle incarnée longtemps par Jacques Maritain et le cardinal Lustiger (un catholicisme sinon vraiment "de gauche", du moins clairement occidentaliste et très lié aux intérêts atlantistes et israéliens), qui veut opposer un bloc "judéo-chrétien" - autrement dit " judéo-catholico-protestant ", occidental au sens que le terme a pris en 1945 - à toutes les autres religions, non monothéistes et surtout islamique.
En réalité, la plupart des Eglises actuelles sont bousculées par le néo-protestantisme anglo-saxon qui s'implante un peu partout et remet en cause le discours œcuménique. On assiste également à la montée d'une réaffirmation de la transcendance dans les religions aussi bien dans l'Islam que dans les différentes religions traditionnelles, et l'Eglise ne peut l'ignorer. On trouve aujourd'hui des personnes jeunes dans les églises traditionalistes parce que le sens de la transcendance de la révélation divine y est plus affirmé que dans l'Eglise conciliaire.
En bref et pour conclure son exposé, Fabrice Moracchini a répété que Benoît XVI aujourd'hui inaugurait une rupture nette avec la période conciliaire (surtout celle de Jean XXIII qui avait décidé de la convocation du Concile sur des positions très maximalistes qu'avaient atténuées quelque peu ensuite Paul VI et Jean-Paul II) parce qu'il n'envisageait plus le dialogue oecuménique "tous azimuts" à la façon de Vatican II, où tout le monde discutait avec tout le monde mais où l'on ne bougeait pas et où l'on ne discriminait personne - dans l'acceptation tacite de l'héritage laïciste des Lumières (ce que le Pape appelle le "relativisme"), mais dans une volonté très différente de reconstitution de l'unité de l'Eglise apostolique, tournée vers les Eglises orthodoxes, la High Church anglicane et les traditionalistes, schismatiques ou pas - autrement dit, les Eglises qui restent fidèles au mystère de l'Eucharistie, envisagé comme fondement de la vie réelle du chrétien.
Raison pour laquelle il insiste sur la continuité de la dogmatique dans l'Eglise et sur le rôle fondamental des trois premiers conciles comme base fondatrice de la définition de l'Eglise apostolique unitaire - à rebours encore une fois de "l'orthodoxie" moderniste de Vatican II. Or cela équivaut à une déclaration de guerre théologique à la Réforme (Calvin niait la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie et refusait l'autorité de tous les conciles hormis celui de Nicée), d'où l'hostilité que rencontre le Pape à la fois dans le monde protestant (anglo-saxon et allemand) et chez nous "judéo-gallican" (l'héritage de Maritain et Lustiger).

 


Le Père Rémy est revenu sur la façon d'envisager la religion, soit elle est révélée, soit elle ne l'est pas. Comment permettre à nos contemporains  d'explorer l'épaisseur horizontale d'humanité qui porte en elle une transcendance vers l'autre, tout en gardant en même temps cette absolue radicalité de la parole de Dieu comme parole révélée ?
La question soulevée par Benoît XVI met en exergue des dissensions internes aussi bien chez les catholiques que chez les intégristes. La fraternité saint Pie X se dit appartenir à l'Eglise et vouloir la faire grandir selon elle, il ne s'agit pas d'un schisme. Mais alors comment réintégrer quelqu'un qui ne s'est jamais senti exclu ? Avec la levée de l'excommunication, est-ce que la communion est réelle ou seulement envisagée ?
La façon de vivre la foi peut se modifier en fonction des prises de conscience. Vatican II est la continuité de la tradition de l'Eglise. L'Eglise catholique est une réalité vivante et non figée à un moment donné de l'histoire de la  chrétienté.