2009/03/12 - Conférence-débat - CALVIN (1509-2009), regards croisés

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Dans le cadre du cinq centième anniversaire de la naissance du réformateur et théologien du protestantisme Jean Calvin (1509-1564), l’équipe œcuménique d’Ile-de-France proposait le 12 mars à Issy-lès-Moulineaux une soirée avec Gill Daudé (pasteur réformé), Nicolas Kazarian (théologien orthodoxe) et Rémy Kurowski (dont la contribution est reprise ci-dessous).

 

PLAN :
Regard partiel sur la 
1. Biographique de Calvin
2. Sola Scriptura, tota Scriptura
3. Ecclésiologie
4. Questions suscitées

 

1. Quelques éléments biographiques


-la mère décède très (trop) tôt
-le père décède " trop tard ", en laissant le sentiment de quitter la prison
-conversion subite incontestable : autrefois obstinément adonné aux superstitions de la papauté " trop endurci en de telles choses " et il eut été " bien malaise " qu'on le " pût tirer de ce bourbier  si profond"... Mais Dieu intervient
-attachement " exclusif " aux Ecritures ; à la recherche de la pure doctrine (à la suite de Luther) et à la recherche de la vie sainte, cet attachement exprimé dans un contexte intellectuel d'humanisme et d'amour de la dialectique.
-De l'Institution chrétienne et de la gestion de la Réforme à Genève ; les deux lieux phares où se croisent, voire s'entremêlent, certainement s'expriment sa vie et sa pensée très étroitement liées l'une avec l'autre.


2. Sola Scriptura, tota Scriptura :


Calvin et les autres réformateurs ont tout misé sur les Ecritures. Si pour Luther il est question de l'Ecriture seule, sola scriptura, Calvin envisage un rapport plénier à l'Ecriture, tota scriptura.  Mais les catholiques  (les papistes) n'étaient pas en reste1. Ils y travaillaient aussi. Moins intensément peut-être, car sur un autre terrain, celui de la tradition catholique accumulée depuis tant de générations. Or, les Réformés n'avaient plus à gérer cet encombrement avec lequel les catholiques devaient composer et donc, eux les Réformés pouvaient s'adonner sans retenue à l'étude de la Bible.
Sola scriptura étant devenue la préoccupation principale,  tout de même pas la seule, car la vie obligeait à organiser les communautés en tenant compte de paramètres socioculturels, comme à Strasbourg ou à Genève, ce qui n'était pas une chose gagnée d'avance. Les Réformateurs en sont devenus des spécialistes et dans la comparaison à une course à pied, celui qui s'entraîne plus logiquement va plus vite et a une meilleure endurance. D'où la mise à distance des catholiques par les Réformés. Mais le fait d'être distancés par les Réformés prouve déjà que les catholiques étaient bien présents dans la course qui d'ailleurs a été entamée bien avant XVI siècle2.

 Cette distanciation entre les catholiques et les réformés est visible encore aujourd'hui et ceci en dépit  de tous les efforts auxquels les catholiques ont consenti depuis quelques générations. Et le dernier synode des évêques à Rome en 2008, consacré à la Parole de Dieu et à sa proclamation, est à la fois une précieuse rampe de lancement ou du moins d'accès pour ce mouvement qui exprime l'intérêt pour la Parole de Dieu, tout en étant  le témoin, encore un mais toujours et sans cesse, du retard que même cette initiative ne pourra pas combler de sitôt. Il suffit de songer à la qualité des prédications, chez les catholiques : malgré les efforts fournis, elles ont du mal à être véritablement exégétiques pour garantir le lien avec les développements parénétiques à proprement parler. Globalement, probablement toujours pour la même raison à savoir que même si la culture catholique de la prédication, malgré tout enracinée dans le terroir de la tradition à proprement parler catholique, permet de s'appuyer bien plus largement que sur la seule Bible pour dire la parole de Dieu - la création comme parole de Dieu et la culture ambiante d'une époque, donc la tradition passée ou présente-  cependant, le lien entre l'exégèse à proprement parler et la tradition catholique n'est pas bien assuré. Le débat pourrait faire revenir sur ce point.

3. Ecclésiologie de Calvin.

A. Introduction :

- La Parole de Dieu pour qui ? Pour le croyant ! Mais le croyant peut-il être tout seul ? Nullement. En communauté, en Eglise, assurément ! Pourquoi ainsi ? Pour honorer Dieu de façon juste ! Car, selon Calvin,  " l'humanité est créée pour la louange de Dieu et le but de la rédemption est qu'il y ait un peuple qui glorifie le nom de Dieu et l'honore de façon juste "3.  En  m'appuyant sur cette citation je voudrais  présenter l'ecclésiologie de Calvin. Son ecclésiologie touche à la fois à l'universalité et, par conséquent, porte des traits propre à la dynamique œcuménique.
- Calvin a une conscience très aiguë de la catholicité de l'Eglise. C'est la raison pour laquelle il va en 1561, écrire un texte dans lequel il s'opposa à l'identification entre ecclesia catholica et sedes romana.
- Aujourd'hui, dans la situation de l'éveil œcuménique évident, il est plus facile de dire ce que les autres apportent à la compréhension de l'Eglise dont nous faisons, le cas échéant, partie! Ainsi Vatican II dans Unitatis Redintegratio, n° 4 dira que dans les autres confessions également se trouvent les éléments authentiquement catholiques. Et comment ici ne pas faire mention de l'apport considérable de Calvin dans la compréhension de ce que l'Eglise telle qu'elle est présentée par ce même concile Vatican II : C'est à Calvin que nous devons la présentation de l'Eglise sous l'aspect de trois munera (Constitution dogmatique sur l'Eglise, Lumen gentium no 34, 35 et 36).
- Je m'arrêterai uniquement sur trois aspects de son ecclésiologie : sur la question de la catholicité, celle de la diversité dans son rapport à l'unité, et celle de l'unité dans la diversité.

B. " La pensée de Calvin est à la dimension du monde "4

Dans le Catéchisme de 1545 l'attribut " catholique ",  incontestablement, fait partie de la compréhension de ce qu'est l'Eglise. L'Eglise est catholique ou universelle, parce que tous les fidèles sont rassemblés sous un seul chef et dans un seul corps. Le regard de Calvin va plus loin que vers l'Eglise de Genève. Calvin pensait dans les dimensions européennes et œcuméniques5.

C. La diversité dans l'unité.

Pour Calvin, la diversité n'est possible qu'à condition d'être tous dans l'unanimité de la foi. L'unanimité en question est obtenue grâce à l'acceptation des vérités essentielles la garantissant. Pour Calvin en font partie celles qui portent
-sur la foi en Dieu unique,
-sur la divinité de Jésus-Christ,
-sur le fondement du salut dans la miséricorde divine et
-sur la pratique des sacrements " conformément " à l'institution du Seigneur.
 -Le tout couronné par le témoignage commun de la foi.

D. L'unité dans la diversité.

Dans les choses communes se retrouvent les dispositions voulues par Dieu et, de ce fait, nécessaires à l'Eglise (prédication de la Parole de Dieu et les sacrements). Dans ce qui diverge se trouvent les libres dispositions  des Eglises qui peuvent varier et qui peuvent se référer aux habitudes culturelles. On les appelle les ordonnances ecclésiales. Au sujet de l'Eglise de Genève, Calvin estime qu'elle a de quoi être reconnaissante du fait que Dieu a choisi  d'y établir une demeure, où il est vénéré de façon pure. La pureté, voici ce qui est désiré par Calvin.

4. Les questions que tout cela pose.


A. La recherche de la pureté, ou plutôt l'exigence liée à l'appartenance confessante, est une de premières caractéristiques. Par exemple, à Strasbourg 250 personnes se regroupent  autour de Calvin, leur exigence de vie de foi est comparable à seule de vie monastique, mais sans se retirer du monde.  Cette exigence, tout autant estimable, n'était-elle pas vouée à l'échec, ce qu'à tout instant la vie du croyant peut prouver ? Si l'homme ne peut rien sans le secours de la grâce, et qui peut nier cela ?  (Même si par-ci, par-là, des pensées pélagiennes  alimentent bien  des discours  humanistes des chrétiens), donc il tombe chaque fois lorsque cette grâce n'est pas accueillie à la mesure de l'attente (?)  que Dieu exprime à son égard et pour son salut !
Calvin le sait, il apprend à composer avec. Il le fait au moyen de la distinction dialectique entre l'Eglise, réalité sociologique, et l'Eglise Una sancta. L'article de Jacques Courvoisier est à cet égard très éclairant, en voici le passage suivant : " La dialectique, l'Eglise, réalité sociologique, tire sa qualité d'Eglise de l'Una Sancta, de l'Epouse du Christ, et cette dernière à son tour, s'incarne visiblement pour que les âmes soient amenées à leur Sauveur par la prédication et les sacrements, car l'Una Sancta doit nécessairement s'affirmer par une réalité sociologique. Là, où cette dernière est absente, l'Una Sancta le serait aussi. Un des aspects n'est rien sans l'autre et l'Eglise n'existe que dans le mouvement de l'un à l'autre et réciproquement "6. Calvin  traite la question de l'Eglise par deux voies : visible et invisible pour considérer leur dépendance au moyen de la dialectique. Exemple : Eglise -mère des fidèles :'être membre du corps du Christ c'est d'appartenir à l'Eglise visible7. Pour comprendre ce que l'Eglise selon Calvin, il faut constamment faire va et vient entre Visible et Invisible.  Cette Eglise-là est constamment en mouvement et la dynamique ainsi constatée est du au fait que la Grâce de Dieu n'est pas dans le signe visible, mais que ce signe seulement l'accompagne. Ce qui est dit de la conception du sacrement chez Calvin, est-il transposable sur ce que pour lui l'Eglise ?   Si oui, est-ce que cette analogie n'éclaire pas la façon dont est considéré par Calvin accès du croyant au pardon ? 
De son côté, St Augustin, dont la vision sur les effets du péché sur la nature humaine fut reprises par  Calvin tout comme par  Luther, dans sa vision de l'Eglise, a introduit la notion d'Ecclesia mixta. Ainsi, il constate que cette Eglise, communauté de croyants, est à la fois sainte et composée de pécheurs qui, éventuellement sont en passe de devenir  saints et ceci par le pardon. Cette Ecclesia est donc mixte, à l'instar des paraboles du bon grain et de l'ivraie (Mathieu 13), en attendant la fin des temps pour pouvoir faire la séparation définitive entre les uns et les autres. Alors, quel est le rapport  de Calvin à l'eschatologie ?


B. Calvin, pour vivre décemment sa foi, était obligé de se mettre à l'abris des " papistes " sans pour autant pouvoir éviter le danger de mort de leur part, mais primait la pureté de la foi. Quelqu'un qui le connaissait bien, St François de Sales, fut animé exactement d'un même désir et soumis exactement aux mêmes dangers physiques de la part des calvinistes. St François, par sa douceur, la même que celle qui animait Calvin, voulait retenir les autres dans le giron de l'Eglise romaine, la catholica. Mission impossible : l'organisation de la société par ville ou par principauté dans une grande partie de l'Europe a certainement favorisé le développement de la Réforme hors l'Eglise " papiste "8 , et, inversement, la structure bien centralisée de la monarchie surtout française a grandement contribué à l'éloignement des réformés, chassés hors des églises et hors du royaume. Une belle bagarre en perspective. Bagarre, où autrefois se croisaient les armes, mais qui aujourd'hui se limite, fort heureusement, au fait de croiser nos regards sur Calvin, sa postérité et  notre désir d'y voir signe de Dieu avec sa grâce qui peut tout.  

 


1  Cahiers Evangile, supplément no 146 consacré à  La Bible lue au temps des Réformateurs, décembre 2008
2  Cahiers Evangile, supplément, no 146, 2009
3  Calvin, CO 37, 406 (commentaire d'Is 63, 18), d'après Eva-Maria Faber, Le peuple qui glorifie Dieu, regard catholique sur l'ecclésiologie de Calvin, in Unité des chrétiens, janvier 2009.
4  Eva-Maria Faber, op. cit. p. 13
5  idem.
6  Jacques Courvoisier,  La dialectique dans l'ecclésiologie de Calvin, in Revue d'histoire et de philosophie religieuse,  no 44, PUF 1964    p. 348-363, la contribution au colloque  organisé par la Faculté de Théologie Protestante de Strasbourg, les 25,26 et 27 mai 1964, à l'occasion de la commémoration du quatrième centenaire de la mort du réformateur. 
7  De L'Institution chrétienne, IV, 1,4.
8  Curieusement, je trouve dans cette expression de la tendresse, un aveu  de l'incapacité à s'entendre et laquelle est cependant confiée à la miséricorde de Dieu.