2010/01/10 - Conférence sur la « Lettre aux artistes » de Jean Paul II

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Le Père Rémy a tenu ce jour une nouvelle conférence sur la « Lettre aux artistes » de Jean Paul II, à l'église Saint-François de Montmorency.

 

 PLAN :

I.    INTRODUCTION
II.    PLAN
III.    ORIGINALITE
IV.    DEVELOPPEMENT DE QUELQUES POINTS
V.    CONCLUSIONS

 

Bibliographie : Pascal FAGNIEZ, Jean-Paul II et les artistes, de Pie XII à Benoit XVI, les papes esquissent une théologie de l’art. Editions de l’Emmanuel, 2007

 

I  INTRODUCTION

1°  date et circonstances ;

(C’est la première fois qu’un pape adresse une lettre aux artistes, écrite en polonais entièrement de la main du pape déjà malade de Parkinson)
-    Document daté du 4 avril 1999 (Pâques, perspective du Jubilée de l’an 2000)
-    Ecrite à l’occasion de l’inauguration de l’exposition « Paul VI, une lumière pour l’art » (cf. DC 1999, no 2204, p. 451-458)
-    35 ans après le discours de Paul VI aux artistes à la chapelle Sixtine le 7 mai 1964,   où il exprime le « mea culpa de l’Eglise » ;  époque du Concile Vatican II qui adresse un  message aux artistes.
-    10 ans plus tard Benoît XVI rencontre des artistes à la chapelle Sixtine le 21 novembre 2009 (la veille de la Ste Cécile patronne des musiciens, coïncidence non-soulignée par le pape) pour faire mémoire de ces deux événements en resituant dans le contexte plus philosophique -Platon- et plus théologique - H.Urs von Balthasar et Simon Veil.

2° adresse :       

                  A tous ceux qui, avec un dévouement passionné, cherchent de nouvelles « épiphanies » de la beauté pour en faire don au monde dans la création artistique.

3° deux références principales :

-    « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon » (Gn 1, 31) en exergue
-    « la beauté est pour susciter l’enthousiasme au travail, le travail est pour renaître » piekno jest po to by zachwycalo do pracy, praca by sie zmartwychwstalo (Cyprian Norwid, poète polonais 1821-83) cité en no 3, et rappelé en  no 16 comme une sorte d’inclusion.
-     l’auteur :  
 il se présente au no 9 «...vous écrivant du Palais apostolique, véritable écrin de chefs-d’œuvre peut-être unique au monde, [je voudrais] me faire l’interprète des grands artistes qui ont déployé ici les richesses de leur génie, souvent pétri d’une grande profondeur spirituelle »

4° la visée :

 « Par cet écrit, j’entends emprunter le chemin du dialogue fécond de l’Eglise avec les artistes qui, en deux mille ans d’histoire, n’est s’est jamais interrompu et qui annonce encore riche d’avenir au seuil du troisième millénaire » (no 1)

 

II. PLAN

Chapitres     1-4 : l’artiste et sa vocation : poursuivre le dialogue
5-6 : Evangile et l’art : alliance féconde
7-9 : histoire de l’art : architecture, poésie, musique, icône, peinture, sculpture
10-11 : crise et dialogue renoué : dégager une forme d’humanisme caractérisée par l’absence de Dieu  
12-14 : Eglise et l’art :
15-16 : contemplation : Esprit Saint et la beauté.
On notera l’absence de la bénédiction finale, juste « avec mes vœux les plus cordiaux ». Délicatesse avec laquelle le pape  se retient d’imposer ce qui lui revient de  par son statut spirituel.

 

III. ORIGINALITE de la lettre

1. Fond général

1° approche résolument christologique et existentielle centrée sur le mystère du Christ en sa passion vécue chez les hommes
2° tout en exaltant la dimension spirituelle de l’homme, il manifeste une attention particulière à la dimension charnelle,
3° l’empathie particulièrement forte et amplifiée dans la réception de l’expérience personnelle de la confrontation au mal « vécue et subie, précisément dans notre siècle, dans votre patrie et dans la mienne, jusqu’aux limites les plus extrêmes » (19 novembre 1980, Rencontre avec les artistes et les journalistes à Munich)     

2 De la lettre

1° adresse :
-pour la première fois un pape s’adresse ‘à tous ceux qui... cherchent de nouvelles « épiphanies » de la beauté pour en faire don....
Par cette adresse le pape demeure fidèle à son intuition exprimée dans sa première encyclique Redemptor Hominis  de rejoindre tout homme ; il s’adresse :
-« A tous ceux » ni restriction d’appartenance confessionnelle ni précision sur l’activité professionnelle, pourvu que chacun cherche à promouvoir la démarche artistique, il faudrait encore s’entendre sur le sens d’une telle démarche ;
-« avec un dévouement passionné » sans trop savoir si la blessure qui en est à l’origine provient de la tension de l’homme blessé vers le divin ou de sa résistance à l’inspiration d’en haut (cf. combat de Jacob) tout en sachant que le dévouement ainsi vécu conduit l’artiste au don de lui-même ;
 -« cherchent des nouvelles épiphanies de la beauté » la réponse à la commande extérieure de réaliser une œuvre va de pair avec l’exigence d’aller toujours plus loin en obéissant ainsi à l’autre commande, celle de l’intérieur ; la démarche étant particulièrement symbolique de l’humaine quête de perfection ;
-« nouvelles épiphanies » : manifestation, expression, les épiphanies de la beauté ; la beauté oblige à un certain oubli de soi contradictoire avec l’authenticité subjective revendiquée à l’époque actuelle.
-«don au monde », mondialisation d’amour.       

salutation finale, pas de bénédiction finale.

‘L’Eglise a besoin de l’art, est-ce réciproque ?  Poser la question c’est déjà induire la possibilité d’attendre une réponse négative, ce qui est par ailleurs facile à deviner, tout au moins en apparence, car si de fait beaucoup d’artistes se sont affranchis de la tutelle de l’Eglise (aussi bien dans le sens de mécénat que dans le sens thématique d’inspiration), le pape tout en posant la question suggère la possibilité qui est offerte à ceux qui exercent l’art de pouvoir se nourrir de ce qui fait le cœur du message chrétien  véhiculé par l’Eglise. 

 

IV. QUELQUES THEMES CHOISIS

1. Artistes : qui sont-ils ?

-« généreux constructeurs de beauté » (no1)
« vous avez contemplé l’œuvre de votre inspiration y percevant  l’écho du mystère  de la création auquel Dieu, seul créateur de tout chose, a voulu en quelque sorte vous associer (no1) »
-« la tâche d’être artisan de sa propre vie est confiée à tout homme » (no2), mais le pape distingue entre la disposition de l’Etre Humain qui fait que chacun est acteur de ses propres actes et la disposition propre à l’artiste qui à la fois donne vie à son œuvre et dévoile aussi sa propre personnalité
-« le véritable artiste est prêt à reconnaître ses  limites » (no6)
-destinés à être « inspirés » (n°16) : toute inspiration authentique renferme en elle-même  quelques  frémissements de ce souffle dont l’Esprit créateur remplissait dès les origines

2. Dialogue, lequel et comment ?

-« Le Concile Vatican II a jeté les bases de relations renouvelées entre l’Eglise et la culture, avec des conséquences immédiates pour le monde de l’art. Il s’agit de relations marquées par l’amitié, l’ouverture et le dialogue ». (no11)
-« le chemin du dialogue fécond de l’Eglise avec les artistes qui ne s’est jamais interrompu (no1) (continuité)
-« dialogue qui enracine aussi bien dans l’essence même de l’expérience religieuse que dans celle (essence) de la création artistique » (no1) (donc autonomie du champ artistique)
-dialogue entre Créateur (stworca) et artisan (tworca), le premier crée ex nihilo, où tout est à faire, le second à partir de ce qui existe, il lui donne forme et signification (no1)
-« dans ‘la création artistique’ l’homme se révèle plus que jamais ‘image de Dieu’ et il réalise cette tâche avant tout en modelant la merveilleuse ‘matière’ de son humanité et aussi en exerçant une domination créatrice sur l’univers qui l’entoure » (no1)    
-dialogue en vue de l’accroissement de la conscience  du don que l’artiste possède (no1)
-à travers l’œuvre l’artiste parle et communique (no2)
-« entre l’Evangile et l’art, une alliance féconde » (no6)
-entre l’Eglise et les artistes une nouvelle alliance (no6)
-« vers un renouveau du dialogue » (titre du no10), car il s’est développé « une forme d’humanisme caractérisée par l’absence de Dieu et souvent par une opposition à Lui » (no10)
-« l’art une sorte de pont jeté vers l’expérience religieuse » (no 10), on remarquera « vers ».
-« l’Eglise tient tout particulièrement au dialogue  avec l’art » (no10)
-« qu’une telle collaboration suscite une nouvelle ‘épiphanie’ de la beauté en notre temps et apporte des réponses appropriées aux exigences de la communauté chrétienne. » (no10)

3. La vocation artistique au service de la beauté. (Norwid)

-beauté : « expression visible du bien et le bien est la condition métaphysique du beau » (no3) kalokagathia=beauté et bonté (Platon : « la vertu propre du Bien est venue se réfugier dans la nature du Beau », Benoît XVI cite Platon pour parler de la ‘secousse’),
-« spiritualité du service artistique qui à sa manière contribue à la vie  et à la reconnaissance d’un peuple » (no4)
-« derrière ses formes, il n’y a pas seulement le génie d’un artiste mais l’âme d’un peuple » (no8)
-« la beauté qui sauve » (titre du no16)
-« les stigmates » (no7)
-« l’icône est en un certain sens un sacrement », « de manière analogue elle rend présent le mystère de l’Incarnation » (no8)   
-« l’artiste se fait en quelque sorte la voix de l’attente universelle d’une rédemption » (no10)
-« ce monde dans lequel nous vivons a besoin de la beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance » (no11)
-service de la liturgie,  noble ministère (no11)
-réalisations artistiques, véritables lieux théologiques (no11)
-la beauté qui sauve : « que votre art contribue à l’affermissement d’une beauté authentique qui, comme un reflet de l’Esprit de Dieu, transforme la matière, ouvrant les esprits au sens de l’éternité ! » (no16)

4. Grâce divine dans tout cela ?

-« tout forme authentique d’art...constitue une approche très valable de l’horizon de la foi... l’expérience humaine trouve sa pleine interprétation » (no6)
-« si déjà la réalité profane  des choses se tient toujours ’au-delà’ des capacités de pénétration humaine, combien plus Dieu dans les profondeurs  de son mystère insondable » (no6)
-« moment de grâce, car l’être humain a la possibilité de faire une certaine expérience  de l’Absolu qui le transcende » (no15)
-« la connaissance de foi est d’une  toute autre nature, elle suppose une rencontre personnelle avec Dieu en Jésus-Christ » (no6)
-« je fais spécialement appel à vous, artistes chrétiens : à chacun je voudrais rappeler que l’alliance établie depuis toujours entre l’Evangile et l’art implique..., l’invitation à pénétrer avec une insistance créatrice dans le mystère du Dieu incarné et en même temps dans le mystère de l’homme » (no14)

5. Et la laideur dans tout cela ?

Si le beau existe, c’est par opposition à la laideur. La Lettre n’en parle pas directement. Mais de façon suggestive, en situe l’espace et en esquisse les contours. Le lien avec le pêché existe, mais pas forcement directement. Depuis Job jusqu’au Golgotha, par le langage de l’art est évoqué le mystère du « Verbe fait chair. » (p.4)  Avec les stigmates de St François « non moins significative est à ce sujet  la lauda extatique, que St François d’Assise reprend deux fois dans la chartula rédigée après  avoir reçu sur le mont de l’Alverne les stigmates du christ : « Tu es beauté... Tu es beauté »  St Bonaventure commente : »il contemplait dans les belles choses le Très Beau, et en suivant les traces imprimées dans les créatures, il poursuivait le Bien-Aimé » »
Le pape poursuit sur le même versant : « toute forme authentique d’art est, à sa manière, une voie d’accès à la réalité la plus profonde de l’homme et du monde » (p.5) Donc peut-on prolonger  par le constat suivant, à savoir que dans la laideur aussi. D’autant plus que quelques pages plus loin nous lisons « ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance (p. 11) et la dernière indication sur le lien avec la laideur se trouve dans le tout dernier paragraphe « Du chaos surgit le monde de l’Esprit » (p.11).    
La laideur exprimée (et toujours dépassée) en  termes de souffrance de Jacob et surtout du Christ,  des stigmates. L’art y tient une place particulière : l’art cette « voie d’accès à la réalité la plus profonde » cette « beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance ». Grâce y compris à l’art  « du chaos surgit le monde de l’Esprit

 

V. CONCLUSIONS

1° Dialogue avec le monde de l’art : l’objectif donné en vertu de la théologie de l’Incarnation,

-qui requiert du respect pour l’homme, tout homme, et donc suppose de l’autonomie de l’humain face au divin.
-qui respecte la distinction entre l’ordre naturel de l’action de l’artisan et l’ordre de la grâce qui est propre au croyant.
-qui met en avant la beauté qui sauvera le monde, l’expression artistique comme icône du Christ, lui « le plus beau des enfants des hommes (Ps 44)
Question : chez l’artisan croyant ou est la nature et ou est la grâce ?

2° l’art a-t-il besoin de l’Eglise ?

-« la collaboration a été source d’enrichissement spirituel réciproque..., elle a retiré comme profit la compréhension de l’homme, de son image authentique, de sa vérité » (no13)
-« le christianisme, en vertu du dogme central de l’Incarnation du verbe de Dieu, offre à l’artiste un univers particulièrement riche  de motifs d’inspiration. » (no13)  
-« je vous invite à redécouvrir la profondeur de la dimension spirituelle et religieuse  qui en tout temps  a caractérisé l’art dans ses plus nobles expressions »

3° l’art comme lieu théologique

La théologie de l’art intègre  les éléments  
-    affectifs : intuition mobilisant le sens et ainsi restitue à la vie spirituelle tout en prenant en compte le corps concret  de l’homme ; lieux privilégiés d’accès à la transcendance.
-    symbolique : les binômes opposés et complémentaires (haut-bas, lumière-ténèbres, l’arbre-la porte, l’ouvert-le fermé, le simple-le compliquée etc.) ; la diffusion du message plus rapide, car la raison analyse alors que l’art synthétise.
La théologie de l’art doit entrer dans le mouvement  intime de l’expérience artistique, mouvement affectif porté par et vers l’Esprit.
-    par l’Esprit qui inspire l’œuvre de l’artiste
-    vers l’Esprit auquel l’amateur d’art est élevé.
Chez Jean-Paul II la théologie classique est assumé (à partir des  transcendantaux de la philosophie beau, bon, un, vrai... et la révélation biblique (Gn, 1,10 dans son projet et combat), porte des traces de personnalisme (que l’interlocuteur se sente aimé et compris et rejoint dans ce qu’il est, plutôt que dans ce qu’il  devrait être.
L’originalité de Jean-Paul II ne constitue pas seulement  l’approche morale des questions artistiques dans les relations  à soi de l’artiste : « en modelant une oeuvre l’artiste s’exprime de fait lui-même  à tel point que sa production constitue un reflet particulier de son être, de ce qu’il est et du comment il est » (Lettre aux artistes, no 2). Dans l’action artistique s’exprime aussi la fonction sacerdotale « Selon une pensée profonde de Beethoven, l’artiste est en quelque sorte appelé à un ministère sacerdotal » (12 septembre 1983, Allocution au monde des sciences, lettres, arts et médias, Vienne (Autriche), p. 25)
Dans le cade du service rendu à l’humanité et conformément au Vat II et ses prédécesseurs l’accent est mis ici  sur le ministère de prophétie et de bénédiction : dire ce qui est bien et ce qui est bon.
Jean-Paul II contemple dans les manifestations  actuelles de l’art un homme « dépouillé de tous les enjolivements et transfigurations romantiques » (19 novembre 1980, Rencontre avec les artistes et les journalistes à Munich, no 4) « Car la vocation de l’art est non seulement révéler Dieu à l’homme, de révéler l’homme la beauté originelle de l’homme, mais elle est aussi, d’une certaine manière, de révéler l’homme tel qu’il est aujourd’hui dans sa condition pécheresse et, plus subtilement, dans son mélange ambigu de bon grain et de l’ivraie.
Jean-Paul II peut donc affirmer à Vienne en 1983 que l’Eglise « a besoin des arts pour mieux  savoir ce qu’il y a au plus profond de l’homme : de cet homme à qui elle doit prêcher Evangile. « ( p. 925)