2010/11/07 - Conférence-débat - La perversion, une maladie de l'âme

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PÈRE RÉMY : La règle de cette conférence est la suivante : comment un évènement qui a eu un retentissement médiatique important peut être regardé à la lumière de l’Evangile. Nous sommes dans un cycle de conférences : après avoir échangé avec l’apport de Jean Christophe Dardenne sur la place du père dans la relation mère et enfant au mois d’Octobre, nous abordons aujourd’hui le thème de la perversion ; la prochaine rencontre traitera de la beauté de l’amour de la mère pour son enfant, et enfin en Février, nous aborderons un thème plus générique, comment prendre soin de soi. Aujourd’hui, ce thème qui éveille beaucoup de réflexions et avant de laisser Jean Christophe exposer, je laisse la parole à Philippe Casassus, qui va introduire le débat par le biais de la résonnance médiatique.

 

PHILIPPE CASASSUS : Définition de la perversion : action de détourner quelque chose de sa vraie nature. En France, au mot perversion est accolé l’adjectif sexuel. L’Eglise nous dit que la sexualité dans un couple est une bonne chose, et que sa finalité est la conception des enfants. En réalité, on sait que le plaisir sexuel est souvent en première place et que pour beaucoup, il devient une fin en soi. Chez beaucoup ce plaisir sexuel s’accompagne de fantasmes. Où doit-on placer la perversion dans la réalisation de ces fantasmes : lorsque la réalisation d’un fantasme sert à assouvir le plaisir d’un individu aux dépens d’un autre individu, et contre sa volonté (pression physique ou morale) C’est le cas de la pédophilie. Un rapport du sénat fait état de 20000 enfants, en France, victimes de maltraitance : les abus sexuels représentent le tiers des maltraitances et ce chiffre est en constante augmentation. Dans 70% des cas, ces abus sexuels sont le fait des parents eux-mêmes ou de la proche famille. 16% des femmes et 5% des hommes interrogés en 2006 reconnaissaient avoir subi des rapports forcés ou des tentatives lors de leur enfance, et ce dans toutes les classes de la société. Ce problème a été fort médiatisé ces dernières années : les crimes de Dutroux, la jeune autrichienne, les affaires de prêtres pédophiles. Dans ce dernier cas, ce qui nous choque particulièrement, c’est que c’est le fait d’hommes qui ont à faire passer un message de respect de l’être humain. D’autre part, ce sont des adultes auxquels nous confions nos enfants et qui ont à jouer un rôle éducatif vis-à-vis d’eux (instituteurs, moniteurs de colonies de vacances etc…) Est-ce le contact avec les enfants qui pousse à la pédophilie, ou le pédophile choisit-il justement une carrière lui permettant d’assouvir ses pulsions. En ce qui concerne les prêtres, on entend toujours dire qu’ils sont frustrés par le célibat obligatoire, et que c’est cela qui les pousse à des rapports anormaux avec les enfants. Nous n’avons pas de statistiques concernant les ministres des autres religions. Lorsqu’on aborde le problème de la pédophilie, il faut également tenir compte des fausses accusations (affabulation des enfants). Nous nous trouvons donc en face de deux risques : soit laisser s’exercer la pédophilie en silence et provoquer les séquelles que l’on connait, soit accuser faussement un individu au risque de le détruire.

 

JEAN CHRISTOPHE DARDENNE : L’objet de mon propos est de parler d’une maladie de l’âme, d’un cancer de l’âme qui fait que la relation à l’autre devient hors norme, décrire la structure mentale du pervers, en aucun cas, ses passages à l’acte, vous faire sentir que c’est une maladie inhérente à l’être humain. Nous ne sommes pas exempts de traits de perversité, ce n’est pas l’apanage de quelques cas pathologiques. Nous pouvons parfois avoir un fonctionnement un peu particulier. Cette pathologie, la perversion est liée spécifiquement au narcissisme : une inflation de narcissisme conduit à une illusion de pouvoir, de démesure et à la volonté de dominer l’autre. Cette surestimation de soi a pour effet fâcheux de diminuer l’amour que l’on a pour l’autre : les sujets voient leur empathie diminuer. Il y a une rupture du lien essentiel avec l’autre, il n’y a plus d’affect. Le sujet pervers n’est plus soumis qu’à des pulsions d’auto conservation. Son seul but : assurer sa survie et s’assurer que dans son environnement se trouvent les ressources nécessaires pour cela.

 

RK : on peut rapprocher cela de la phrase d’Evangile : celui qui perd sa vie il la trouve, celui qui veut la garder la perd.

 

JCD : l’enflure narcissique enferme le sujet.

 

RK : le sujet pervers n’est pas dans la vie ?

 

JCD : Il est très seul, il doit assurer sa survie individuelle ; Il souffre d’une angoisse de mort terrifiante, de néantisation et il est en lutte permanente pour annuler cette angoisse. Cette angoisse, il n’aura de cesse de la projeter sur son environnement : l’entourage du pervers vit dans un climat mortifère à la mesure du vécu du sujet.

 

RK : la perversion est-elle une réponse à cette angoisse de mort ?

 

JCD : on ne peut pas les dissocier. Il faut aborder la perversion dans sa structure mentale. En quoi le pervers fonctionne-t-il hors normes ? En revenant sur ma dernière conférence, la relation au père est structurante : cela permet un cadre. Dans le cas du pervers, le sujet n’a pas de limites, pas de désirs, il assouvit ses pulsions, il doit trouver un exutoire. Quelle carrière choisir si je suis pédophile ? Autre caractéristique du pervers : la relation d’emprise. Mais cela va bien au-delà : le pervers annule l’autre. L’autre est un objet. Face à un pervers, vous n’existez pas , vous n’êtes pas un sujet, Le pervers a besoin d’avoir immédiatement ce qui va le faire jouir : cela lui permet de rester en vie malgré cette menace de mort permanente. Il doit toujours se maintenir dans cette phase de surexcitation pour faire face à la menace de néantisation. Au-delà de ce que l’on peut entendre ou lire, je n’existe pas en face d’un pervers, mais je le fais exister : sans moi, il n’existerait pas.

 

RK : peut-on parler de complicité ?

 

JCD : Dans les relations avec un pervers, on se rend complice de quelque chose. Dans son fonctionnement, il y a une absence de tout sens moral. Cela va au-delà des abus sexuels. Le pervers va faire croire à sa victime que c’est elle qui l’a provoqué et l’a poussé au passage à l’acte. Lui est innocent. C’est plus une maladie de l’âme que de l’intellect ou d’une maladie’ psychiatrique ; la psychose est une maladie mentale et présente en commun avec la perversion la folie des grandeurs : mais le psychotique présente des signes cliniques (hallucinations visuelles ou auditives)

L’affect est la capacité d’empathie, la capacité de la relation à l’autre, de se mettre à sa place.

 

RK : en quoi un pédo psychiatre peut il parler de l’âme ?

 

JCD : je m’attarde de plus en plus sur ce qui fait la psyché. Depuis que je m’occupe de maman et bébé, je découvre ce qu’est la psyché. Les fautes et angoisses de la mère dans sa vie viennent s’incarner en bébé et produire un symptôme. Il suffit d’une représentation chargée de suffisamment d’affect pour que s’incarne un symptôme sur un corps innocent.

Je souhaiterai également aborder la question de notre monde moderne : on assiste depuis un siècle à un déclin des valeurs collectives au profit des valeurs individuelles : l’homme s’est libéré de la religion, la famille est instable : nous sommes dans une société de liberté ou la pub et les médias sont des pousse à jouir parce que nous le valons bien…Le prix de cette liberté, c’est la solitude et une angoisse de plus en plus grande qui se manifeste de diverses façons : violences, passages à l’acte, désir de jouir de son prochain, mais aussi dépressions et désespoir. Ce passage par le désert peut heureusement permettre parfois de redécouvrir les vraies valeurs.

 

RK : ‘’c’est quand je suis faible que je suis fort’’ comme dit St Paul. Sur le terrain chrétien il n’existe pas de situations désespérées dont on ne puisse sortir agrandi. Théoriquement c’est possible. Dans la perspective chrétienne, c’est un a priori de base.

 

JCD : pour conclure, je ferai un survol rapide de la pédophilie. Ce n’est qu’un aspect de la perversion, peut être le plus odieux, car la victime ne s’est pas laissée séduire. Dans le cas d’un enfant, il a été subjugué. Il s’agit non seulement de prendre possession de son corps mais d’injecter de la perversion dans son esprit : c’est donc non seulement un abus, mais également une initiation.

 

Débat, questions et témoignages.

 

RK : potentiellement chacun de nous est pervertible.

 

Un intervenant : perversion dans le monde du travail, harcèlement.

 

JCD : dans le monde du travail : une seule règle : se faire respecter et respecter l’autre : cela introduit une base d’interaction.

 

RK : Dans le cas de la véritable perversion, il n’y a pas de notion morale donc on ne peut pas parler de la responsabilité : seule la responsabilité civile peut intervenir. Le pervers n’est pas dans la notion de responsabilité car il n’y a pas de failles : tout est parfaitement organisé. Le montage vers toujours plus de puissance est un montage linéaire : c’est très dangereux.

 

Question : Est-ce que le pervers a conscience de sa perversité ?

 

JCD : les pervers ne se soignent pas. Le schizophrène va accepter un traitement ; le pervers ne se sent pas malade, ne se soigne pas et de toutes façons aucun traitement ne fait effet.

 

Question : lors de la dernière guerre, comment les nazis se sont-ils organisés pour développer ce pouvoir sur les autres, pour aller aussi loin ?

 

JCD : dans le processus de chosification qui induit la perversion, il y a 2 fonctionnements : cela me déresponsabilise, (on m’a dit de faire cela, je le fais) mais aussi une certaine introjection de la puissance perverse : je fais comme le maitre et j’en jouis.

 

RK : dans une société de perversité (aucun cas précis en l’occurrence) le faible devient de plus en plus faible et à contrario, comment contenir cette faiblesse. Sur le plan spirituel des propositions peuvent être faites.

 

JCD : en me reportant à ma précédente conférence, j’ajouterai que plus la métaphore paternelle est incarnée, moins il y aura de risque de perversion.

 

Question : existe-t-il un facteur déclenchant ?

 

JCD : non

 

Question : l’éducation joue-t-elle un rôle ?

 

JCD : dans certains cas seulement, elle peut favoriser. On nait pervers, on ne le devient pas.

 

RK : comment le narcissisme, base de la perversion, peut-il être perturbé au point de devenir perversion ?

 

JCD : je répondrai en évoquant un exemple clinique : je soigne actuellement un enfant de 4 ans élevé par une jeune maman seule ; le père est un délinquant, violent, toxico, hors normes. Cet enfant, depuis l’âge de 2 ans développe une pathologie inquiétante : c’est un enfant qui ne joue pas, qui a peu de contacts avec ses pairs. Il passe son temps à surveiller sa maman, à la commander, à faire la loi. Il ne veut rien entendre, et pour obtenir ce qu’il veut, il tente de séduire. Tous les ingrédients sont réunis pour qu’il développe une pathologie gravissime et devienne un jour un narcissique pervers.

Après 1968, dans cette mouvance de libertés absolues, les pervers se sont engouffrés, pour donner libre cours à leurs pulsions dans des groupes un peu particuliers (ex.les sectes ou autres)

La perversion est la seule maladie de l’âme qui rend l’humain, inhumain.

 

Question : la perversion est-elle contagieuse ?

 

JCD : le côté le plus odieux dans la relation avec un pervers, c’est l’initiation pour reproduire, se reproduire en l’autre. Le seul moyen d’éviter que le pervers passe à l’acte, c’est de lui rappeler que la loi aura toujours un œil sur lui.

 

Témoignage sur la transmission de la violence : Il y a possibilité de rompre l’atavisme familial par exemple.

 

RK : pour en revenir aux propos de Philippe Casassus, lors de son introduction, concernant les choix de vie des personnes aux tendances pédophiles, j’ajouterai qu’en ce qui concerne les prêtres pédophiles : ils sont prêtres parce qu’ils sont pédophiles, et non pas le contraire. En discutant avec des accompagnateurs spirituels, tous sont d’accord pour dire que c’est indétectable.

Il y a un rapport fondamental entre la valeur d’une parole, et l’incarnation de cette parole, c’est-à-dire quelque chose qui se distille comme bon va trouver un terrain favorable. Pour nous chrétiens, c’est un enjeu majeur : le Verbe s’est fait chair.