2011/01/16 - Conférence-débat - LA BEAUTE DE L’AMOUR DE LA MERE POUR SON ENFANT.

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Père Rémy,
C’est la troisième rencontre du cycle de conférences sur la famille. Nous déclinons ce qui compose une famille de manière très différente, mais chaque fois à partir d’un même chemin, c'est-à-dire un apport d’un spécialiste, enrichi des réflexions en parallèle sur le terrain spirituel.
Comment son travail nous éclaire dans notre manière d’être pas seulement dans les liens familiaux, comment cela nous fait réfléchir sur nos relations mais aussi sur le terrain spirituel, sur l’approfondissement de ma vie de foi, comment cet apport du psychiatre m’éclaire personnellement.

 

Jean Christophe Dardenne, pédo psychiatre en milieu hospitalier et dans un institut pour enfants handicapés.
Je suis en train de mettre en place à l’hôpital de Domont une unité de périnatalogie (mère/bébé) : je porte une attention particulière à la maman et au foetus, parce que je suis quelques mères qui n’ont pas encore accouché, soit des mamans et des nourrissons.
Deux choses me paraissent importantes : ne jamais juger ou porter un diagnostic trop rapide sur le devenir du bébé, et porter un soin le plus à distance possible et le plus bienveillant possible ; j’essaie de créer une enveloppe autour de ces mères et de leurs nourrissons qui, souvent sont en difficultés, car elles se sentent isolées et très seules sur le plan familial et social. L’aide qu’on peut leur apporter, c’est la ressource d’un tiers bienveillant. C’est une aide à apporter à maman et bébé, tout en sachant que la maman sait mieux que quiconque les soins à apporter à bébé ; mais c’est à moi, en tant que thérapeute de lui apporter une enveloppe sécurisante afin que tous deux se développent le mieux possible, et pas tous seuls au monde.
C’est un préambule important : on va évoquer plusieurs étapes dans la construction d’un enfant. Les étapes primordiales, ce sont la vie foetale et la toute petite enfance où bébé est entièrement dépendant de sa mère et lui doit sa survie, puis au-delà de 2 ans la socialisation de l’enfant qui advient lui-même.

 

Qu’est ce que la vie foetale ? le foetus n’est pas un sujet, il vit de manière particulière, soumis à des sensations plutôt agréables, c'est-à-dire que le développement harmonieux, c’est d’avoir tous ses besoins assouvis 24h sur 24. Il n’a besoin de rien : sa mère le nourrit et le protège. Cette étape de développement est paradisiaque !
Ce paradis, nous l’avons tous connu, c’est dans le ventre de maman : il n’en reste aucune trace car à cette époque là, il n’y a pas d’ego, pas de ‘’moi, je’’.
En plus, comme il n’y a pas de souffrance, il n’y a pas de manque, ni un début de je.
Ce qui vient clore cette étape, c’est la naissance.

 

La naissance, c’est l’enfer pour le bébé, c’est une tranche de vie où le bébé étouffe, il est broyé, compressé dans la filière utérine, maltraité, et en plus il est brûlé dans la filière utérine. C’est une douleur intense qui fait que nous refoulons ce que nous avons vécu dans notre vie utérine : on n’y a pas accès consciemment ; il faudrait des techniques de méditation auxquelles ont accès certains mystiques pour revivre cela, mais ce n’est pas le fait du commun des mortels.

 

Dans certains cas de la vie foetale, il y a souffrance (alcoolisme, toxicomanie où le foetus est en manque) également dans la dépression sévère de la mère, où le foetus ressent les pulsions de mort.

 

De même, si la mère pense à avorter mais ne le fait pas, c’est aussi un facteur de risque important d’autisme.

 

RK : Peut on revenir à la non différenciation dans cet état paradisiaque, entre la mère et l’enfant, quand vous disiez que le foetus n’a pas d’ego, cela voudrait dire qu’il prend tel quel tout ce qui lui est donné à profusion et qu’il s’en contente. Si je fais le parallèle avec la vie spirituelle, l’imaginaire du paradis, c’est quoi ? C’est la situation de louange constante des êtres qui sont devant Dieu et qu’on appelle des êtres spirituels que sont les anges. Or les anges, on peut dire qu’ils ont un ego puisqu’ils sont révélés pour certains d’entre eux. Cela veut dire qu’il y a une entité, une conscience de soi. Ego, c’est quoi ? est-ce une conscience de soi ?

 

JCD : l’ego, c’est le stade archaïque du je, c’est la première conscience de soi : ce n’est pas forcément se nommer mais c’est avoir conscience d’une vie distincte.

 

RK : Evidemment, les anges n’ont pas de noms, sauf quelques uns expédiés pour s’occuper des affaires courantes sur terre. Si je fais ce parallèle, c’est pour entrer dans la réflexion sur la spiritualité. Notre spiritualité est fondée sur l’imaginaire d’un paradis où tout est bien : il n’y a aucune perdition d’énergie, aucune difficulté ; la seule difficulté que l’on pourrait imaginer, c’est que ces êtres spirituels dotés d’intelligence et d’une capacité à décider :- je continue ou j’arrête-, pouvaient se rebeller et dire non. C’est ainsi que l’on s’explique dans l’imaginaire judéo chrétien, le paradis et les limites du paradis.
Est-ce que le foetus, dans le ventre de sa mère, est capable de se rebeller contre sa mère ?

 

JCD : si je prends l’exemple de l’autisme, oui ; dans le cas de l’autisme, l’enfant nait autiste, il ne le devient pas. Les troubles apparaissent dès la naissance, à savoir un enfant qui n’est pas attaché du tout à sa mère, qui se vit comme autonome, à part dans sa bulle. La mère le manipule comme un objet inerte. L’enfant ne reconnait pas sa mère comme mère.

 

RK : c’est violent ce que vous dites là. Cela voudrait-il dire qu’en tant que foetus, il a vécu quelque chose qui l’a rendu tel ?

 

JCD : mon hypothèse à moi, oui. Dans certains cas, il y a des pathologies génétiques qui font que l’enfant n’arrive pas à se développer, mais ce n’est qu’une partie des cas d’autisme ; l’autre partie c’est un traumatisme pendant la vie utérine responsable de la pathologie.

 

RK : cela voudrait dire que ce foetus a une sorte d’ego puisqu’il réagit en fonction de stimulations environnementales externes à lui.

 

JCD : il s’en protège tellement qu’il ne ressent plus rien.

 

RK : ce n’est pas conscient, mais c’est inscrit.

 

JCD : il ne faut pas l’oublier ; chez l’enfant autiste, il y a beaucoup de souffrance mais la souffrance est extrême chez la mère qui n’arrive pas à rentrer en relation avec cet enfant.

 

RK : peut-on parler à ce moment là de l’autisme spirituel ? C’est-à-dire cette incapacité à entrer dans la relation sur le plan spirituel. Cela m’interroge sur les conditions dans lesquelles cette attitude de rejet total de toute dimension spirituelle, que j’appelle l’autisme spirituel c'est-à-dire l’incapacité d’entrer dans une relation d’échange et où effectivement les barrières de peur seraient un peu levées de manière à pouvoir entrer en relation.
Dans beaucoup de situations, on est en face d’un autisme spirituel absolu ; ce n’est pas seulement ‘’je n’en veux pas’’ mais ‘’je n’ai aucune idée de ce que cela peut vouloir dire’’ et c’est pour cela que je n’en veux pas.

 

JCD : deux choses me viennent en tête : la pathologie actuelle de déni de cette part spirituelle vient d’un trop d’ego et non pas d’un manque d’ego ; le trop d’ego pollue notre monde : (expérience de la jeune autiste de 15 ans méprisée par un père tout puissant auquel on avait prédit que sa fille aurait un QI diminué, violée et non défendue ensuite par sa mère avocate) Lors d’une rencontre au lendemain d’un moment que j’avais passé à l’Eglise, la veille, elle m’a dit : ‘’toi, tu es allé voir le grand Dieu’’
Donc, elle n’était pas insensible à cette dimension spirituelle. Elle percevait des choses que je ne percevais pas.

 

RK : vous touchez là à un autre problème ; quand je parlais de l’autisme spirituel, je ne parlais pas des autistes qui oui ou non pourraient entrer dans la dimension spirituelle, à l’instar des autistes qui sont dans une relation trouble, ou impossible avec l’extérieur : la seule porte de sortie qu’ils trouvent, c’est par le haut, et non par le bas, c'est-à-dire par la dimension la plus engageante parce que c’est celle qui semblerait la plus véridique.

 

JCD : l’expérience avec cette jeune fille m’a laissé embarrassé : j’ai réfléchi un moment avant de reprendre la parole ; il ne fallait surtout pas nier, compte tenu du lien de confiance qui s’était établi entre nous. Il fallait remettre les choses de façon plus normative, et moins théâtralisée dans sa tête, afin qu’elle n’associe pas l’image de Dieu avec celle de son père. Je devais d’une part valider ses propos, et d’autre part parler en tant que psychanalyste pour remettre les choses à leur place.

 

Dans la manière d’élever les enfants, s’ils sont isolés de tout, privés de tout lien affectif, les plus fragiles sombreront dans l’autisme (exemple des enfants autistes dans les orphelinats au temps de Ceausescu).

 

Le bon déroulement d’une grossesse, c’est une vie paradisiaque, mais il peut y avoir des facteurs annexes gravement préjudiciables (alcoolisme, toxicomanie, violences extrêmes) Le foetus est imprégné de tout, il n’a pas de vie différenciée, il a le goût de sa mère en permanence. Il est sa mère : c’est son univers.

 

RK : et s’il advient à l’état de sujet, c’est par la négative.

 

JCD : par la souffrance ; il n’est pas équipé pour devenir sujet à cette époque là, cela se fait de façon très brutale : la naissance est un calvaire et une souffrance atroce, et je ne conseillerai à personne d’essayer tout seul, je ne sais par quelles techniques (sectes, technique de reverse) d’essayer de revivre cette période là. Un être humain, non accompagné, ne sortira pas indemne de cette expérience.
De 0 à 2ans, le nourrisson se rend compte que sa vie dépend entièrement de sa mère ; si sa mère ne s’occupe pas de lui, il est en danger de mort. Le nourrisson est en permanence menacé par cette angoisse de mort. Il faut qu’il ait une maman en permanence à ses côtés, une maman extrêmement bienveillante : c’est le propre de la race humaine ; les autres mammifères sont beaucoup plus autonomes. Seul le petit d’homme ne peut se débrouiller seul.
Cela donne un état d’esprit très particulier cette symbiose mère/nourrisson : le nourrisson se comporte comme un tyran qui exige de sa mère entière satisfaction à toutes ses pulsions.

 

RK : est-ce qu’il sait qu’il est tyran ?

 

JCD : non : certains restent comme cela toute leur vie… ce stade d’enfant, roi, tyran, c’est vraiment la période de 0 à 2ans. Certains adultes restent comme cela (nous connaissons tous des tyrans domestiques, ou au travail !) Le tyran, c’est quelqu’un qui est resté à l’état de nourrisson.
Pour pouvoir s’occuper du nourrisson, il faut un état de dévotion absolue à cet enfant. Il faut que sa mère soit d’une extrême bonté pour ne pas voir que son nourrisson est un monstre. Heureusement, les mères ne sont pas entièrement bonnes. La mère n’est pas seule au monde, elle a d’autres obligations, notamment le père à s’occuper, à partager. Dans sa tête, elle ne conçoit pas son bébé comme un tyran car elle a la promesse qu’il deviendra un enfant et qu’il sera sociable. C’est parce qu’elle a dans sa tête un père avec qui elle échange qu’elle peut s’occuper de son enfant tyran, c'est-à-dire qu’elle donne des gages d’amour à cet enfant, mais elle le force à reconnaitre qu’il y a une place pour l’autre. Elle est un objet de confort pour son nourrisson : cela ne va pas plus loin, elle est confortable.
Comme elle ne répond pas tout de suite aux besoins du nourrisson, elle va lui faire subir des frustrations supportables. Le nourrisson va se mettre en colère, subir des angoisses de mort ou vouloir détruire sa mère qui devient mauvaise parce qu’il a attendu deux minutes.
Petit à petit, la mère va mettre des mots afin d’apaiser la colère ou l’angoisse du nourrisson. Dans cette frustration, elle fait intervenir l’autre ce qui permet au nourrisson de se préparer à être un enfant. C’est un terrain qui se prépare : il faut lui expliquer qu’il n’est pas seul au monde. L’enfant entend…à défaut de comprendre.
Pourquoi passe-t-on de ce stade archaïque du développement où il n’est pas humain au stade de la découverte des choses qui viennent symboliser qu’il est dans la loi, qu’il y a place pour l’autre (avec un A majuscule) donc qui est le Père ?

 

RK : sur ce parallèle avec la vie spirituelle et ce qui arrive dans cette nouvelle phase du nourrisson, 0/2ans, c’est ce qui arrive dans la vie spirituelle tout court. : un croyant développe une relation de dépendance, mais combien intéressée avec celui que l’on va appeler Dieu, et ce Dieu se manifeste comme père (dans la bible, c’est très net) et ensuite comme mère, mais la vraie relation, comme c’est écrit dans le livre des prophètes, avec ce Dieu là, se fait sur le mode d’une relation à une mère ; quand bien même une mère abandonnerait son enfant, moi, ton Dieu, je ne t’abandonnerai jamais.
Il y a aussi ce pari sur l’évolution parce que dans le processus spirituel, on découvre à quel point Dieu est patient avec nous, c’est impressionnant.
Nous on conscientise cela plus ou moins, du coup, on découvre Dieu comme quelqu’un qui parie sur notre avenir et qui console, rassure, guide, et dit : même si tu ne comprends pas tout aujourd’hui, tu comprendras demain.
Dans quelle mesure, cette façon de voir les choses dans notre relation à Dieu est une transposition à l’être sensible humain dans sa relation comme enfant à ses parents, toujours utile que dans les Ecritures, on prend comme matrice cette même relation pour ensuite l’appliquer à un être supérieur, Dieu, avec cette différence que Dieu ne peut pas être différencié sexuellement.
On voit bien la rupture avec toutes les mythologies, la rupture pour signifier que l’on entre dans un autre espace. On constate cette manière de procéder dans la bible.
Pour revenir au baptême, c’est effectivement dans le baptême que l’enfant est socialisé. Le prêtre dit :’’ je te baptise au nom du Père, du Fils et du St Esprit’’…je m’adresse en tant que représentant de l’Eglise, cette communauté qui accueille cette réalité de Dieu, père-mère. Je m’adresse à quelqu’un en le nommant et ensuite, je lui dis au nom de qui je le nomme. Il acquiert une nouvelle qualité dans ce nom qui est prononcé au moment même de son baptême : ce n’est pas forcément le nom de l’état civil ; s’il y a une différence, c’est aussi bien car cela signifie la valeur propre du baptême.
C’est à ce moment là qu’il entre dans une relation par le nom avec cet amour qui n’est pas un amour exclusif. C’est ce que la mère fera comprendre à son petit. Dans la foi, on vit cela dès le départ ; notre vie spirituelle, quelque part, est l’état de 0 à 2ans¸parce que de toute façon on apprend à se détacher de la relation intéressée avec Dieu. On n’y parvient jamais à 100% mais on apprend et Dieu est patient.
On est dans l’incompréhensible de la vie et toutes nos petites ou grandes révoltes résultent de cet état incertain dans la relation avec ce Dieu mère/père. On est attiré et à la fois, il y a une sorte de répulsion par moment : on est constamment dans cette double dynamique et le baptême nous donne du liquide amniotique, ce n’est pas une régression.
Cela signifie ce à quoi nous sommes appelés : ce paradis et cet imaginaire qu’est la Bible nous développent ces êtres spirituels toujours en louange. Le baptême nous donne cette substance de vie qui est relationnelle.

 

JCD : Ceux qui n’arrivent pas à dépasser ce stade de nourrisson, nous les retrouvons adultes, nous psychiatres, dans certaines catégories pathologiques : schizophrènes, pervers, psychotiques. Ils sont restés au stade 0/2ans où effectivement ils sont dans une relation symbiotique à l’autre, celui dont ils sont entièrement dépendants, dont ils exigent beaucoup, d’où une relation ambivalente avec cet autre là.
Plus le groupe familial est ouvert et inscrit dans la société, moins il y a de risques de pathologies graves. Mais de plus en plus, on voit des mamans seules avec des enfants. Il faut alors que la mère puisse symboliser la place de l’autre, sinon elle se retrouve dans une situation fusionnelle avec son nourrisson.
Autant le père s’incarne dans la structure interne de l’individu, autant la mère donne chair à l’enfant et crée des enveloppes plus ou moins solides, mais qui doivent rester poreuses à l’autre. L’amour maternel, c’est ce qui vient donner chair et une enveloppe à l’individu : c’est ce qui va faire qu’il va se sentir solide.
Chez le nourrisson, le niveau corporel est le plus essentiel, ses besoins primaires doivent être remplis suffisamment en temps et en heure : cela garantit la sensation de survie.
Après, l’amour pour les enfants est plus général, et si cet amour ne vient pas des parents, les enfants vont le chercher chez un tiers (grand père, oncle, etc.)
On remarque que des enfants élevés dans un milieu hospitalier ou dans des pouponnières où il n’y a personne à qui s’attacher vraiment, deviennent des enfants très fragiles.

 

La deuxième enfance : c’est là que l’enfant apparait après 2 ans : il s’inscrit dans la loi, il reconnait la place de l’autre symbolisé par le Père en tant que ce qu’il représente. L’accession au langage est indispensable : il permet à l’enfant de nommer les différentes personnes qui l’entourent et de se nommer lui-même. Ce langage permet les échanges qui deviennent peu à peu structurés.
Ce qui le nourrit à partir de l’âge de 2ans, c’est le langage : il équilibre sa structure mentale.
Langage et loi sont indissociables : le langage prend sens s’il est vrai ; il aide le sujet à se structurer et à établir des rapports normaux avec les autres. Certains enfants qui ne parlent pas manifestent par là le désir de rester au stade de nourrissons.

 

RK : je voudrais revenir à la question de la fonction multiple de l’accès au langage parce que, effectivement, dans la dimension spirituelle et surtout dans la vision judéo chrétienne, qu’est-ce qui est le plus important que les rapports à la parole, au verbe, c'est-à-dire cet agent qui sort d’un être sensible et qui communique ? Cette fonction de la parole, c’est de structurer la relation. Pourquoi a-t-on besoin de structurer la relation ? Parce qu’il y a une distanciation qui se fait entre les êtres : le petit se sépare de sa mère. Si je transpose cela sur le plan spirituel, le croyant est toujours en situation de manque de la présence de Dieu. Il voudrait le voir.
On passe par cette phase aussi pour assumer spirituellement cette distanciation, cette impossibilité d’être dans l’état fusionnel avec Dieu, sauf quelques cas exceptionnels, quand il s’agit d’extases (des mystiques qui parviennent à entrer dans une relation quasi fusionnelle, même si dans ce fusionnel, il n’y a jamais mélange entre l’être aimé, Dieu, le Christ et le mystique en question)
Il n’y a jamais de confusion, même s’il y a fusion. Ce sont des moments qui ne durent pas très longtemps et après il faut assumer cette expérience.

 

JCD : Je me suis intéressé à la philosophie bouddhiste : l’une des grandes ascèses bouddhistes, c’est renoncer à toutes ses pulsions, voire son désir, et essayer d’atteindre le nirvana. Comment régresser à un stade un peu paradisiaque de fusion totale avec l’environnement et en même temps, pour que cela aboutisse à un plus grand renoncement par rapport à soi, c'est-à-dire, d’être de plus en plus humble au niveau de l’ego et des stratégies de développement.
L’ego peut renoncer de plus en plus à ses exigences, mais en même temps, il fait ce retour sans arrêt dans le bain amniotique pour pouvoir être en harmonie avec le monde.

 

RK : justement comment l’ego peut être réduit dans ses effets néfastes ? il est réduit par une aptitude à comprendre que parler à Dieu, à la limite, cela n’a aucune importance puisque de toutes façons, il comprend tout, entend tout…Parler à Dieu pour l’entendre, ça, cela a de l’intérêt, parce que l’entendre, cela voudrait dire faire preuve d’acceptation des effets de sa Parole sur ma propre vie, et donc de ce fait, l’ego va nécessairement en prendre un coup.
Il y a cette socialisation par le langage qui se fait dans une relation à la fois à l’autre (le baptême incorpore dans l’humanité entière par l’appartenance au peuple de Dieu et par là même, il incorpore de façon nouvelle à l’humanité) et dans une relation à la loi.
On voit que Dieu qui donne la loi, c’est le Père qui parle, et comment il accompagne ensuite dans la réalisation et le respect de la loi, c’est le côté mère.

 

JCD : un autre aspect : la première enfance, c’est le règne de la toute puissance, c'est-à-dire, soit bébé s’imagine tout puissant dès qu’il veut quelque chose : la chose pensée va arriver, et généralement, il l’obtient assez vite, donc il se pense tout puissant, ou bien il est soumis à la toute puissance de la mère qui peut tout.
Passer par un stade d’humanisation, c’est reconnaitre que l’on a tous des manques, des défauts, et comme il nous manque toujours quelque chose, il y a une place pour l’autre : c’est cela la loi, c’est ce qui permet de codifier les échanges entre chacun, chacun n’étant pas indépendant et tout puissant mais dépendant de l’autre. La loi est là pour pacifier les échanges entre les humains.

 

La bonté des mères : elles ne se rendent pas compte combien un nourrisson est odieux. A l’âge adulte, elles continuent en épousant des paranoïaques, des pervers, et elles vont les aimer dans l’espoir qu’ils vont peut être changer.

 

RK : Ce qui est légitime pour la mère dans la relation à l’enfant, ce n’est plus le cas quand on transpose ce type de la relation de la mère à d’autres cas.

 

JCD : Les adultes ne changent pas. Il faut que la mère soit un peu mauvaise, sinon elle ne va pas frustrer l’enfant. La mère totalement bonne est dangereuse pour le développement ultérieur de l’enfant. Un enfant non frustré n’est pas préparé à passer au stade ultérieur.

 

RK : Dieu, il faudrait qu’il soit un peu mauvais pour nous apprendre l’autonomie ? Effectivement, l’expérience de vie, le fait que la mère soit soumise à d’autres contraintes que celle de s’occuper de son enfant, si je transpose en ressentant le besoin d’une présence de Dieu qui n’est jamais comblée, parce que je suis dans une situation très limitée de la relation avec, à ce moment là, j’apprends par le fait de vivre à prendre de plus en plus d’autonomie. Ceci étant vrai pour les croyants et pour l’enfant qui grandit.
Je ne donnerai donc pas une qualification morale à cet endroit là, parce que cela voudrait dire que la mère va utiliser inconsciemment quelques côtés qui contredisent son amour. Son amour est inconditionnel comme celui de Dieu est inconditionnel pour son peuple. Il n’y a pas de soupçon de son amour même quand il s’exprime par la Loi : on voit bien que ce n’est jamais sans amour.

 

JCD : le mauvais est inscrit dans le nourrisson : jusqu’à l’âge de 2ans, il y a beaucoup de mauvais en lui (pulsions destructives, haine)
Parmi les mères mauvaises, je pense à ces mères égocentrées qui élèvent leurs enfants pour elles même, dans le but de réparer quelque chose par rapport à leur histoire, de confier une mission de vengeance à leur enfant. L’enfant est missionné pour accomplir une vengeance ou réparer quelque chose. J’appellerai cela l’investissement narcissique de l’enfant et cela produit des effets extrêmement pathologiques. De telles mères existent.
En pédo psychiatrie, on parle de mère suffisamment bonne, c'est-à-dire qu’elle donne le meilleur d’elle-même.

 

RK : il y a une différence entre une mère suffisamment bonne mais qui ne peut pas l’être tout le temps et trouver des côtés négatifs à cette mère. Ne pas être bonne tout le temps, ce n’est pas négatif, cela participe au processus du développement de l’enfant. C’est la brèche dans laquelle s’engouffre la possibilité pour l’enfant d’accéder à lui-même.

 

JCD : de plus en plus, à l’heure actuelle, une mère qui dit non à son enfant se considère comme mauvaise. En consultation, on reçoit des enfants tyrans de 4,5 ou 6 ans parce que les parents ne savent pas dire non. La mère échoue en voulant être trop bonne. Les enfants manquent de repères. D’autre part, une mère ne peut pas élever tous ses enfants à l’identique : les enfants s’adaptent à leurs parents et vice-versa.

 

La beauté de l’amour de la mère : Pour moi, le plus beau, c’est la période 0/2ans, période où la mère ne veut pas voir à quel point son bébé est odieux. Elle lui pardonne tout parce qu’elle a en elle la promesse qu’il va advenir en tant qu’être humain. Je ne parlerai pas d’instinct maternel, mais plutôt de capacités maternelles. Nous différons radicalement des animaux.
Chez le bébé, l’attachement à sa mère est en effet de l’ordre de l’instinct, je ne dirai pas la même chose de la mère. La mère doit avoir un père dans sa tête, sinon elle ne laissera pas grandir son enfant. Un père absent peut être compensé par un tiers.
De nos jours, l’âge adulte intervient de plus en plus tard 25/30 ans : cela est du principalement à des raisons économiques (pas d’emploi stable, pas de logement)

 

RK : l’anticipation et l’angle mort.
L’angle mort, c’est ce que l’on ne voit pas. C’est le propre de l’amour que d’anticiper, de voir à la place de l’autre, ce qu’il ne voit pas.
Le baptême plonge dans un lien social nouveau en vertu de la reconnaissance du nom de Dieu.et en recevant son propre nom : le baptisé est déplacé dans son regard, c'est-à-dire, ce qui est réellement un angle mort pour les autres, dans la société, sur un plan de relations sociales ou de ressenti psychologique, ce que les autres ne voient pas, lui, il est tenu à voir parce qu’il a un regard qui est un regard de Dieu :c’est Dieu qui va lui dire : attention ! les autres ne voient pas, mais toi, tu sais qu’untel ou untel est maltraité, que la justice est criante… les autres n’entendent pas ceux qui sont condamnés, et il va sortir la loi pour dire : toi, tu dois entendre. C’est la question du déplacement des angles morts.
Par le baptême, la vie spirituelle nous fait entrer dans une autre manière de voir et pas seulement d’entendre. Le désir de voir Dieu se transpose sur le terrain inter humain par le désir de voir l’autre, vraiment tel qu’il est, et non pas seulement celui que l’on me donne à voir, que la culture sociale va me présenter comme produit d’une réflexion, d’une thématisation, d’une modélisation. Chaque fois, je serai dans une relation tout de même idéologique, alors que le baptême m’oblige à ouvrir les portes et entrer dans une relation qui me déconcerte, qui m’oblige à ne pas maitriser cette relation, et c’est horrible parce que cela mène à des conséquences que je n’avais pas prévu et je résiste comme je peux pour ne pas entrer dans les effets de ces conséquences que j’entrevois, que j’entends et je ne ferme pas complètement l’oreille à cet appel toujours réitéré depuis mon baptême.

 

JCD : sur l’amour de la mère.
l’enfant ne doit pas être prince, sinon c’est un tyran. Toute mère élève son enfant dans la promesse que l’avenir appartient à cet enfant. Tout est possible à partir du moment où elle lui ouvre les portes de l’avenir : un amour maternel suffisamment confiant et serein ouvre toutes les portes du possible à cet enfant. ‘’Tu seras mieux que moi’’

 

RK : et donc tu seras prince.

 

JCD : oui, tu seras prince, si tu te réalises.


 
JCD : les enfants handicapés ;
J’ai animé pendant un an un groupe de parole pour les parents d’enfants handicapés : ces parents continuent de rêver un avenir radieux pour leurs enfants.
Je me suis toujours fait une règle de ne pas poser un diagnostic trop précoce, de ne pas fermer l’avenir, de ne pas dire des choses brutales ; on peut dire : oui, il aura des difficultés etc…
Pour préserver l’avenir, il ne faut pas trop en dire. En tant que psy, je ne suis pas partisan de la vérité à tout prix : toute vérité n’est pas toujours bonne à dire.
Certains collègues posent des diagnostics définitifs qui ferment l’avenir.
S’il ne faut pas laisser croire n’importe quoi aux parents, il faut tout de même laisser des portes ouvertes, proposer un chemin différent pour l’enfant.
Quand je reçois des enfants atteints de troubles autistiques (généralement très jeunes 2/3ans, je m’efforce de ne pas poser de diagnostic dans un premier temps, pour voir comment ils vont réagir au traitement thérapeutique. Si je constate que cela n’aboutit pas, j’en parle alors aux parents : de toute façon, il est encore temps, avant le début du cursus scolaire.

En effet, des enfants pris en charge très tôt parviennent à réaménager leur relation au monde.


Il ne faut pas poser un diagnostic trop précoce.

 

RK : et laisser toujours l’espace à l’Espérance.