2007/04/22 - Conférence-débat - QUAND LE FRANÇAIS PERD SON LATIN

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Ce dimanche 22 avril, le Père Rémy Kurowski a organisé une conférence débat suite à la publication du document post-synodal de Benoît XVI, intitulé « Sacramentum caritatis » (Documentation catholique no 1 avril 2007) qui avait suscité de nombreuses réactions au sein de l’Eglise et dans les médias. Le titre « quand le français perd son latin », naturellement introduisait dans la discussion t essentiellement axée sur la question du latin dans les célébrations, tout en sachant que le message de notre Pape dépasse largement la question de la langue et donne un message très fort de Charité et d’Amour pour tous les hommes.

Le Père Rémy Kurowski a rappelé que les évêques se sont penchés sur ce sujet, il y a maintenant deux ans, lors du synode consacré à l’art de célébrer (ars celebrandi).

Jean-Michel, bénévole dans sa paroisse du Vexin, nous a donné un témoignage de ce qu’il vit au quotidien. Il fait partie de la pastorale familiale du diocèse et il est très préoccupé par l’évolution de la famille. Il s’occupe également de la préparation au mariage et constate que les jeunes sont très loin de l’Eglise et encore plus loin du latin. Pour lui, le latin est une langue morte. Il se rappelle des célébrations où chacun répétait sans comprendre le sens et la signification. On assistait plus à la messe qu’on n’y participait. Il y avait des missels en deux parties, en latin et en français.
« Ma foi est dans l’ici et maintenant, je suis gêné par l’utilisation du latin, car je veux vivre mon espérance qui est dans le futur et pour vivre mon espérance, j’ai besoin de l’eucharistie et de comprendre ce que je dis au moment de la prière eucharistique ou d’entendre ce que le prêtre en dit. Ce n’est pas en utilisant une langue du passé que je peux vivre mon présent et donner de la vitalité à mon futur. J’ai besoin de m’incorporer, de me fondre dans cette prière pour nourrir ma semaine et pour offrir tout ce que j’ai vécu au cours de la semaine passée. A tel point que lorsque le chant de consécration est chanté, je ressens la même exclusion que lors des célébrations en latin. Le latin est une langue du passé très liée à l’Eglise d’avant Vatican II, l’Eglise faite de lois, de pesanteur, de rigidité, de froideur. C’était pour moi, la religion du crucifié, j’ai souvenir d’homélies qui insistaient sur la vertu salvatrice de la douleur et c’était le moment, où lorsqu’on vivait cette douleur, on pouvait sauver son âme. Vatican II a remis les fidèles au cœur de la foi et de la religion. A un moment donné, j’ai entendu la prière eucharistique, la célébration en français m’a permis de passé de la religion du crucifié à la religion du ressuscité. Il est important de pouvoir vivre dans l’espérance de la résurrection et le fait de pouvoir comprendre et de partager cette prière eucharistique m’aide beaucoup. Mais les textes sont beaucoup plus larges et plus souples que certaines presses veulent bien nous le laisser entendre. C’est un faux débat alimenté par des rumeurs qui ne sont pas fondées. Je ne suis pas complètement opposé à des messes en latin pour des grands rassemblements comme à Rome, à Lourdes ou à Jérusalem, le latin permet de célébrer dans la même langue faisant ainsi éviter une espèce de cacophonie lorsque chacun s’exprime dans sa langue. »

Puis, en plus de la question de la langue latine, les personnes présentes à ce débat ont évoqué aussi la question de la « protestantisation » de la liturgie, le rite de Saint Pie V, le chant grégorien et sa beauté. Sur le plan pratique on s’est posé la question de la diversité de styles de messe. Par exemple, des jeunes peuvent être aussi sensibles à des messes type gospel et autres. On pourrait avoir des messes en grégorien, en gospel et des messes dans le style actuel.
Le Père Rémy Kurowski apporte la précision suivante : L’usage de la langue latine et les chants grégoriens, même si les chants grégoriens s’exécutent en latin, sont deux choses distinctes. La messe en latin est introduite du IVème siècle lorsque les habitants de l’Empire romain de la partie occidentale de cet empire ne comprenait plus le grec, donc le pape a rendu obligatoire la messe en latin, c'est-à-dire en langue vernaculaire. Les siècles ont passé et les choses se sont figées. La langue latine s’identifie à la langue de la célébration liturgique chez les chrétiens qui désormais sont appelés latins puisqu’ils sont occidentaux. Elle va être renforcée de différentes manières par le chant grégorien qui lui donnera une expression artistique. Les compositions de chants grégoriens datent du VIIIème siècle. Toute la liturgie occidentale s’identifie avec ce mode d’expression artistique chanté.
Pour ce qui concerne les différentes formes de liturgie, c’est un des points centraux de tous les débats actuellement en Eglise et en dehors. Ce problème doit être posé de manière claire, ce qui veut dire qu’il faut diversifier la manière de célébrer, être en situation de recherche permanente. Ce qui est derrière cette question posée par le synode des évêques en novembre 2005 à la suite duquel le pape Benoît XVI a écrit cette exortation apostolique, c’est le degré d’ouverture de l’Eglise catholique actuelle dans la direction des intégristes qui à la suite de Mgr Lefebvre en désaccord avec les décisions du Concile (sur la liberté religieuse, sur le dialogue des catholiques avec les autres chrétiens, avec les juifs, avec les autres religions et ouverture bienveillante au monde moderne et donc avec la réforme liturgique) ont quitté l’Eglise catholique. En effet les rites changes. Nous sommes actuellement sous le rite du missel de Paul VI avant c’était le rite du pape Pie V (XVIs.) dans la mouvance de la Contre-Réforme du concile de Trente. Avant, pendant presque un millénaire, il y avait un autre rite qui était plus ou moins fidélement respecté, c’était le rite de Grégoire 1er, nous sommes à la fin du 6ème siècle, au début du 7ème.
Les rites changent pour une population donnée, pour une culture donnée. En revanche, ce qui peut devenir nouveau et qui a créé tant d’émois à l’intérieur de l’Eglise catholique, c’est d’envisager qu’il y ait deux rites, celui de Pie V et celui de Paul VI en parallèle dans la même église locale et le même diocèse, y compris dans la même communauté paroissiale, comme celle par exemple de Montmorency ou ailleurs. Cette éventualité n’a jamais été sérieusement envisagée par l’Eglise catholique. Or, on connaît plusieurs rites pour le même territoire,mais pas pour la même population unie ethniquement et culturellement. (en Russie, au Liban, en Ukraine, même en France, à Paris etc.), mais pour des raisons tout à fait autres et qui sont liées au déplacement des populations.

Réaction de l’assistance : « Lorsque les gens s’ennuient à la messe, ce n’est pas une question de compréhension. Le latin est une langue morte, soit! Mais pour notre sainte Eglise, c’est un avantage. Une langue morte est une langue qui ne bouge plus et par conséquent les interprétations ne se précipitent pas, alors que nous vivons dans un monde où les mots sont déviés de leur sens constamment et on ne comprend plus rien. Le fait d’avoir une base solide en latin n’est peut-être pas mauvais. Certains sont montés au parapet pour protester contre la décision de Benoît XVI qui démontre un manque d’esprit de fraternité. Je m’étonne d’un ostracisme qui n’a pas de signification. L’Eglise est catholique et apostolique et la vocation à une certaine universalité et je trouve étonnant que l’on nous reproche d’utiliser le latin là où l’Islam dans le monde entier n’utilise que l’arabe. Pourquoi ce qui serait bon pour l’Islam serait mauvais pour notre sainte mère l’Eglise ? »
« On a parlé de multiritualisme, nous sommes déjà dans une situation de grande variété, alors finalement, est-ce qu’il n’y a pas une volonté de dramatiser le débat ? »

Réponse du Père Rémy : « L’Eglise universelle, lorsqu’elle se réunit en concile œcuménique peut décider changer de rite. Le rite exprime l’état d’esprit dans lequel l’Eglise se trouve à une époque donnée. Même si, comme c’est le cas de l’état d’esprit dans lequel le dernier Concile a été accueilli par beaucoup, on tend à passer de la religion du crucifié à la religion du ressuscité, notre chemin de croyant est marqué par la croix et le restera jusqu’à la fin de nos jours. Vatican II a voulu mettre la vie du croyant d’une manière nouvelle dans l’axe de l’Evangile pour savoir en quoi l’Evangile est réellement pour lui et par lui pour les autres une Bonne Nouvelle et c’est à la liturgie d’exprimer effectivement ce souci d’être une Bonne Nouvelle. Lorsque le Concile décide de modifier le rite, ce n’est pas pour faire plaisir aux uns et pour déplaire aux autres. Il y a des rapports difficiles entre les uns et les autres parce qu’il y a de la souffrance et toute souffrance est digne d’être regardée avec charité. Il faut rester sur la gestion de la liturgie chez les catholiques et les chrétiens en général. Dans la mesure où la liturgie exprime la foi de l’Eglise. Exprimée dans chaque communauté célébrante, chaque prêtre qui préside a son propre style dans la manière de célébrer et donc d’appliquer le rituel. En effet, il faut que ceci soit personnellement assumé, sans quoi « l’ennui mortel » pourrait nous guetter et au manque de vie de foi exprimée s’ajouterait celui de la vie tout courte. Lorsqu’il n’y a pas de circulation de la foi, c’est terrible. Si le Concile a changé ce n’est pas pour renier le passé, mais simplement pour permettre aux fidèles de se nourrir le mieux possible de l’Eucharistie en mettant en évidence qu’elle est signe de la charité du Christ.

Une personne de l’assistance veut préserver le latin : « Benoit XVI recherche une langue commune. En effet le latin n’est pas une langue morte, les anatomistes et toute la nomenclature a été établie en latin. Les anatomistes ont des connaissances suffisantes de latin pour la rendre encore vivante. La recherche de la langue commune se heurte à l’impérialisme dominant. Si le latin est devenu la langue commune, c’est parce qu’il existe derrière l’impérialisme romain. L’impérialisme grec s’est effondré, on a gardé des rites. L’impérialisme syriaque n’a jamais existé et les syrochaldéens célébrent encore l’eucharistie dans la langue à peu prés voisine de celle que le Christ a pu prononcer. Il se pose le problème d’une langue commune. Le Pape a posé le problème pour qu’il y ait au moins un fond commun. »

Philippe, qui animait le débat a répondu : « Le latin a été mis en exergue par la presse mais c’est un des éléments. Le message du Pape est une critique de certaines mises en scènes de la messe qui s’accompagne d’une perte d’une sacralisation et il voudrait retrouver un caractère plus mystérieux de la messe. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut revenir en arrière. Il veut garder le côté participatif avec Vatican II mais en redonnant un peu ce caractère sacré. »

Une personne a pris la parole pour préciser que la langue initiale n’est pas le latin, on a mis quatre siècles pour arriver au latin, après on est passé à la langue vernaculaire. Alors pourquoi revenir au latin et non pas au grec ? La traduction latine a changé le sens de certains passages. Pourquoi pas la glossolalie à ce moment là ?

Une autre riposte : « Il y a de moins en moins de latinistes. Mais ce qui est important c’est le bilan que l’on fait 40 ans après Vatican II. Au catéchisme, la Trinité est très peu abordée, comme l’Immaculée Conception. C’est l’intelligence de la foi qui s’est perdue peu à peu. Au-delà de la question du français ou du latin, il y a la nécessité de ressaisir l’intelligence des dogmes et de la liturgie. Il y a maintenant l’émergence du néo-protestantisme, de l’évangélisme, pentecôtisme qui vont beaucoup plus loin dans une radicalité différente pour exprimer leur foi. Le problème est : qu’est ce qu’on fait de Vatican II, 40 ans après. L’objectif était de s’ouvrir sur le monde, et à l’intérieur des églises chrétiennes. Ce qui gêne dans le retour du latin, c’est le rapport du catholicisme par rapport à l’Europe et à l’Eglise. Est-ce que l’Eglise doit s’ancrer dans l’Europe ou mieux penser son internationalisation d’aujourd’hui ? »

Le Père Rémy a repris la parole pour préciser : c’est bien cette question qui est en jeu. Avoir une base commune est important. Le concile Vatican II s’est posé cette question : qui sommes nous à l’intérieur de l’Eglise et comment pouvons nous être vis-à-vis du monde ? La réforme liturgique qui aurait du conclure le débat sur l’Eglise en elle-même face au monde, est arrivé trop tôt parce que c’est le premier document signé en 63, alors que les autres documents ont été signés en 64 et surtout 65. Cette réforme liturgique est arrivée dans ses grandes lignes au début du débat conciliaire alors que beaucoup de travail était à faire par la suite. Ce qui a donné toute une évolution de la liturgie de 1963 à 70, où Paul VI, à la suite des travaux des commissions compétentes, à travers des documents officiels qu’il promulgue, se pose en interprète du concile en précisant un certain nombre de choses. Dans la constitution liturgique, est tout à fait ouverte la possibilité de la célébration selon Pie V. En 1970, on interdit formellement la célébration selon le rite Saint Pie V, sans autorisation explicite et c’est là-dessus que porte le débat actuel par rapport à cette exhortation apostolique de Benoit XVI. Ce n’est pas la question du latin qui est au centre. De la même manière que la messe de Pie V était tolérée, la langue vernaculaire dans cette même constitution liturgique était tolérée. D’étape en étape, nous arrivons au missel de Paul VI avec possibilité aux laïcs de lire les lectures, d’être ministre de la communion, ainsi que la communion dans la bouche ou dans la main. Cette possibilité était donnée dans l’espoir de voir la communion dans la bouche diminuer. Ce passage était nécessaire pour ne pas choquer les gens. La réforme était lancée et devait être faite avec délicatesse. Le changement est propulsé et réalisé. Les paroissiens sont passés d’un moment à l’autre à un autre rite. Le contexte dans lequel ce changement s’est effectué était et est différent dans chaque pays. Ce concile a revalorisé la notion de l’Eglise locale en respectant ainsi la culture du pays et de la langue. »

Des personnes reprennent la parole : « Nous avons deux théologies de Saint Pie V et de Paul VI et les deux théologies sont largement associées. Le fait de dire la messe devant les gens, de faire participer l’homme Christ au milieu du monde, l’attitude est différente. Les deux aspects sont différents. Le monde actuel est soumis à l’impérialisme des langues. Si sociologiquement, on admet que l’anglais a gagné, on dira la messe en anglais, que ce soit en rite Saint Pie V ou en rite selon Paul VI ».

« Benoit XVI veut ouvrir les portes à ceux qui ont suivi Monseigneur Lefebvre. Il y a une distinction entre les traditionalistes et ceux qui ont suivi Monseigneur Lefebvre ».

« La religion catholique est une religion incarnée. Cette « restauration » ne rentre pas dans le cadre de la religion incarnée ».

« Nous avons assisté à la dégringolade du nombre de participants à la messe. Si le latin est restauré, plus personne ne comprendra. »

« Quels sont les autres caractéristiques qui sont envisagés actuellement dans ce synode ? »

Le Père Rémy répond : « Pour Benoît XVI, après 40 ans, nous en sommes aux premières analyses et il voudrait insister davantage sur la qualité des célébrations. Mettre plus de sacré, mais que cela veut dire, sinon accueillir son salut en Jésus-Christ et par conséquent offrir notre vie et le monde entier. La liturgie vise à transformer les personnes. Dans la manière de célébrer il s’agit de la qualité de « production ». Qu’est ce qui est produit dans nos messes. Où sont la gloire et la grandeur de Dieu et comment on l’exprime. Benoit XVI veut insister sur la qualité. Dans les célébrations, s’exprime le cœur des croyants. Même si la célébration n’est pas la somme de nos attentes. L’Esprit Saint travaille. Est-ce qu’il travaille en français ou en latin ? Une expression culturelle est-elle meilleure qu’une autre ? Nous avons l’obligation d’être missionnaires. Célébrer veut dire entrer dans la résonance entre la culture et la foi. Il faut bien définir de quelle foi nous parlons, de quelle espérance. Qu’est-ce qu’est ma foi ? le don de Dieu accueilli dans ma propre culture. La foi travaille la glaise de nos cultures. Le Pape s’exprime pour l’Eglise catholique du monde entier. Benoit XVI a donné comme titre le « sacrement de la charité », à cette exhortation apostolique .Il est question de la charité, de la bienveillance, voire même de la délicatesse propre à Joseph Ratzinger. Cette attitude doit primer dans nos relations.

Une personne de l’assistance précise : « Cette exhortation est vraiment superbe, il y a un paragraphe sur le latin et tout le reste est un amour profond de la sainte eucharistie. Nous revenons au cœur de notre foi. Le latin est secondaire. On sent tout l’amour du pape pour le Christ »

Une autre : « Notre religion est universelle. Dire le credo en latin ne me choquerait pas au contraire, il serait dit dans tous les pays de la même façon, de même qu’on le récitait il y a cinq ou six siècles ».

Jean Michel conclue : « la foi et la religion. C’est comme la respiration, je ne peux pas respirer que dans un sens, ma foi me met en route. L’essentiel est de partir, la religion, c’est le moyen de faire des haltes, de pouvoir se ressourcer pour partir vers une nouvelle étape de notre cheminement. A chacun de trouver le moyen qui lui convient. »

Philippe conclue lui aussi : « beaucoup d’avis différents, le Pape se place dans la nuance, et non pas dans un retour d’il y a cinquante ans. Les rites sont essentiels, mais l’important c’est le fond. Le document post-synodal qui est divisé en trois partie : mystère à croire, mystère à célébrer et mystère à vivre fait apparaître que l’amour y prend une place centrale. La mission fondamentale est de témoigner par notre vie ».

Le Père Rémy nous donne le mot de la fin : « La préoccupation de Benoit XVI est celle de la foi, la célébration et la vie. Comment permettre à la célébration de devenir l’expression de la foi et de la vie ? L’art de célébrer (ars celebrandi) vient comme expression ultime pour exprimer la foi et pour ensuite en vivre. La messe a pour but de nous rendre disciples du Christ, le corps du Christ et à ce titre d’être missionnaire. Le souci du pape est d’améliorer l’art de célébrer. La culture globale de la religion catholique doit être prise en compte. Le pape travaille pour l’universalité et non pour un problème singulier. Une grande place dans cette exhortation est laissée à la participation des fidèles. Le concile Vatican II a insisté pour que la messe soit célébrée par tous et présidée par un seul. Tout baptisé est doté d’un sens de la foi. Cette participation est légitimée par le sens de la foi. Ce document invite à travailler à la plus juste répartition des prêtres, sur la meilleure implication des religieux et sur l’encouragement concernant les vocations. »