2011/03/06 - Conférence-débat - PRENDRE SOIN JUSQU’AU BOUT

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Père Rémy : Nous sommes réunis pour la 5ème conférence de la série consacrée à la famille. La première traitait de la place du père, la dernière, comment prendre soin de soi, et aujourd’hui, comment prendre soin jusqu’au bout.

Aujourd’hui, je tiendrai la place de Monsieur Loyal, celui qui introduit le sujet.
J’ai regardé sur Google : prendre soin jusqu’au bout, et je suis tombé sur deux références très intéressantes.

La première propose : promouvoir l’accompagnement et la prise en charge de patients relevant de soins palliatifs, soutenir les soignants dans cette démarche, dans un centre hospitalier situé dans le département 18. Est-ce une vitrine sur Internet, y-a-t-il un décalage avec la réalité ?

La seconde référence présente la Fondation Lejeune (dont je connais la responsable, le Dr Marie Odile Rethoré, seule femme à l’académie de médecine). Elle  cite le serment d’Hippocrate : ‘’soulager, guérir quand c’est possible, assister, accompagner toujours, faire preuve d’une véritable compassion’’  Elle dit qu’actuellement, le fait de soulager les maux de l’âge est remplacé par le désir de conserver la jeunesse : cela nous renvoie à notre précédente conférence.
Prendre soin de soi  cela veut-il dire conserver sa jeunesse ? je dirais oui, mais laquelle ? et aujourd’hui, aussi, prendre soin jusqu’au bout (en faisant le lien avec la précédente conférence) je dirais oui, il faut prendre soin jusqu’au bout pour conserver la jeunesse, mais laquelle ?. Cela oblige à une responsabilité et cela la dépasse en même temps parce qu’on est devant une situation qui est infiniment plus grande que les moyens mis à disposition, non seulement sur le plan technique mais aussi  sur le plan de la relation humaine, de la relation interpersonnelle. Il y a un décalage entre le malade et celui qui l’accompagne.
Je termine en parlant d’un livre cité par Marie Odile Rethoré : ‘’ le livre des secrets’’ : un médecin raconte ses contacts avec des handicapés, et comment les handicapés font le retour sur sa manière d’être médecin C’est probablement à partir de ce type de situation qu’il faudrait chercher à comprendre la véritable relation entre celui qui est en situation de détresse qui engage parfois sa vie et celui et ceux qui l’accompagnent.

 

Philippe Casassus : Aujourd’hui, j’ai une casquette d’hématologue, celui qui traite les hémopathies malignes – les cancers du sang- qui amènent à des contacts avec des situations dramatiques et de fin de vie. Je suis également professeur de thérapeutique et j’enseigne aux étudiants la thérapeutique, le rôle du médecin, comment, chaque fois qu’il peut  guérir, pour les maladies curables et pour les autres, le traitement palliatif.
Dans les traitements palliatifs, il y a des situations de dégradation que l’on ne peut freiner avec risque de handicaps. C’est ce à quoi on pense quand on parle de soins palliatifs, de phase terminale et c’est alors que l’on aborde le concept de l’euthanasie.
Le rôle du médecin, c’est de soigner, de s’occuper de son malade quelqu’il soit, et jusqu’au bout. Il doit tout faire pour le guérir, et s’il ne peut pas, cela ne veut pas dire qu’il doit s’en désintéresser. Il  a à prendre en charge un malade jusqu’au bout, dans tous ses symptômes.

Je vais commencer par vous énoncer 3 ou 4 articles du code de déontologie médicale.

Article 2 : le médecin au service de l’individu exercera sa mission dans le respect de la vie humaine de la personne et de sa dignité. Le respect dû à la personne ne cesse pas de s’imposer après la mort.

Article 36 : Lorsque le malade  en état d’exprimer sa volonté,  refuse les investigations ou le traitement proposé, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. (allusion à l’acharnement thérapeutique)

 

Père Rémy : exemple le refus de la transfusion pour des convictions.

 

PC : si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité.

Article 37 : En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement, et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique.( on est tout à fait dans le problème de l’acharnement thérapeutique)

Article 38 : le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à  ses derniers moments (ce n’est pas facile ; s’il y a une communauté d’esprit dans le service, toute l’équipe se sent concernée ; il y a une conception de la prise en charge. Cela fait partie des éléments les plus forts dans la spécificité de l’acte médical)
Assurer par des soins la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort : c’est l’euthanasie active, permise en Suisse et aux Pays Bas.

En France la loi l’interdit toujours en remettant l’accent sur le fait qu’il y a une alternative à l’euthanasie, c’est le devoir d’accompagnement (soins palliatifs, non abandon,) et apaiser la fin de vie du patient et de son entourage.
On cherche à soulager les symptômes (physiques ou psychiques). On utilise un traitement efficace, généralement la morphine, en admettant que cela puisse réduire le temps de vie.

Qu’est-ce que l’acharnement thérapeutique ?
Ce serait utiliser un traitement dont on sait à l’avance qu’il ne va pas être efficace (ex :chimiothérapie après une ultime rechute) La loi permet au malade de refuser le traitement.
Mais qu’est-ce que le malade sait vraiment ou ne sait pas de l’efficacité d’un traitement ? il peut en connaitre la pénibilité… et c’est en cela que le dialogue entre le médecin et le patient est important.

Le professeur Debré disait à propos de l’euthanasie : ‘’c’est un concept de personnes qui se portent bien’’ (il est vrai que ceux qui prônent l’euthanasie se portent bien)

Dans mon activité, lorsque le malade est vraiment en fin de vie, des membres de sa famille viennent me demander de faire quelque chose pour que cela s’arrête, alors que d’autres vont me demander de prolonger la vie… Qui a raison ? il faut se méfier de certaines situations familiales.

J’ai également entendu comme argument pour l’euthanasie : le malade doit mourir en gardant sa dignité. Mais qui décide de ce que c’est que la dignité ? Est-ce qu’un malade en fin de vie, dénutri, fiévreux n’en est-il pas moins digne ?
Qu’est-ce qui me permet de dire qu’il n’est pas digne ? on peut très bien soulager ses symptômes et faire en sorte qu’il puisse encore s’exprimer.
(2 exemples, un prêtre rayonnant avec sa bible, un musulman qui lisait les sourates du Coran, tous deux étaient dans leur réflexion)

En 82, j’ai reçu une femme d’une quarantaine d’années que j’avais suivie quelques années auparavant pour un lymphome et à laquelle j’avais fait une auto greffe de moelle. Elle avait accepté cette intervention à la condition que si elle rechutait, on lui donnerait ‘’une mort douce’’
Elle revenait donc, une nouvelle tumeur étant apparue, pour laquelle une chimiothérapie n’aurait eu comme effet que de retarder l’échéance. C’était son choix de ne plus vouloir de chimiothérapie.
Dans ma logique, je pensais au traitement palliatif, mais en fait, elle me demandait de la tuer, ce qui est différent, et je n’avais pas l’impression de m’être engagé à faire quelque chose de ce genre.
En parlant avec elle, son mari, son médecin, nous avons opté pour le non acharnement thérapeutique et pour les soins palliatifs. Chez elle, elle avait chaque jour la dose de morphine nécessaire, les sédatifs, les calmants : elle était reposée et dans un état un peu second. Cela a duré 6 ou 7 jours avant qu’elle ne meure.

C’est la seule fois où quelqu’un m’a lucidement dit : je veux mourir. Je n’ai pas obtempéré, mon objectif était de la calmer ; il est sûr que la morphine a hâté un peu les choses.

Faire ce que font les suisses, proposer la mort à des malades en fin de vie, me parait invraisemblable.
Je ne me vois pas enseigner à mes étudiants comment tuer, ce n’est pas de mon domaine.
Dans les discussions entre parlementaires, j’entends souvent dire que dans certains services, on pousse un peu fort les doses de morphine… Est-ce que le médecin qui a prescrit doit aller en prison ? Il y a un curseur difficile à cibler précisément, mais je me réjouis que les parlementaires aient tenu bon et que l’euthanasie soit toujours interdite en France.

 

Père Rémy : je voudrais reprendre cet exemple d’euthanasie active : j’ai en tête une image un peu provocante, une situation de guerre, juste pour déclencher une discussion ; imaginez un soldat blessé  qui crie à son capitaine :’’achevez moi’’. Que fait le capitaine ?

 

Un ancien médecin militaire : je ne me suis pas trouvé dans cette situation, mais ce sont des
choses dont on parle et que l’on prépare. Ce n’est pas permis d’achever quelqu’un mais il y a
toujours un service de santé organisé pour pouvoir apporter la sédation le plus vite possible.
 Mais ce n’est pas autorisé d’achever quelqu’un.

 

Père Rémy : mais quand la situation est dramatique et que l’ennemi est proche ?

 

Le médecin : la question se pose effectivement.

 

Une intervenante, médecin de l’éducation : je voudrais rebondir et compléter le discours dePhilippe, puisque je m’occupe de maladies neurologiques et entre autres d’accidents vasculaires cérébraux. Les maladies neurologiques entrainent une vie différente de celle d’avant. Pour le médecin, c’est prendre soin jusqu’au bout : on ne va pas amener le patient à la guérison, on ne promet pas la guérison à quelqu’un qui est hémiplégique ; seul le temps permettra d’affiner le diagnostic. Après 3 ou 4 mois après l’avc, on aura déjà une idée de la récupération possible, mais 15 jours après, on a juste une vague idée.
Il est bon que le malade et la famille entendent que le rôle du médecin est d’accompagner jusqu’au bout, c'est-à-dire, cela va être de récupérer le plus possible et de s’adapter à la vie quotidienne.
Notre grand projet, c’est la réadaptation sociale ; quelque fois on a des difficultés de langage et de compréhension entre le patient et la famille, parce qu’ils ont du mal à admettre au bout d’un certain temps qu’il ne remarchera plus ou mal et que sa vie ne sera plus jamais la même.
Rarement dans mon service, nous avons des décès : on n’est jamais préparé à cela.
Dans le service, j’ai eu une jeune femme de 26 ans atteinte d’une tumeur osseuse, paraplégique, et il n’y avait plus rien à faire. Elle souffrait moralement et physiquement. Plusieurs matins de suite, lors de ma visite, elle m’a demandé : j’ai mal, je veux en finir. J’ai répondu que je ne pouvais pas. Après consultation en équipe, nous l’avons orientée vers une unité de soins palliatifs, puis elle est rentrée chez elle où elle a terminé sa vie près de son fils.

Un autre cas, alors que j’étais encore interne en rééducation fonctionnelle : une femme qui avait eu un Avc et qui était hémiplégique du côté gauche, fait un second Avc du côté droit : c’était en 1990. La famille est venue voir toute l’équipe avec le désir que cette femme de 80 ans souffre le moins possible. Cela a été fait : cela ne peut pas être légiféré, mais certains médecins acceptent d’aider le patient. A cette époque, on appelait cela un cocktail lytique : cette femme a reçu ce cocktail, et la famille nous a remerciés.

 

PC : cela fait partie des situations qui existent ; ce que je crois important c’est que ce soit une décision collégiale en entente avec la famille. Certains services ont  mis en place des sortes de staff périodique de soins palliatifs. Ces soins palliatifs, ce n’est pas pour décider qu’on va forcer la dose de morphine, c’est de décider d’arrêter les soins thérapeutiques en équipe avec tous les intervenants autour du malade. Les soins palliatifs peuvent durer un certain temps.

 

L’intervenante, médecin : ces décisions en équipe sont importantes : pour la jeune femme, cela a permis de trouver une solution et elle a été entendue.

 

PC : cela doit être réfléchi et il ne faut pas que la famille dise : elle n’a plus de situation digne ; cela, c’est vu avec des yeux de bien portants qui ne veulent pas voir la réalité et souhaitent effacer l’image qui les gène : cela n’est pas admissible.

En allant encore plus loin, on peut citer les comas, les états végétatifs. Mais de quel droit puis-je dire que sa vie n’a pas de sens ? on a vu parfois des patients se réveiller 20 ans plus tard. C’est très lourd.
 

Une intervenant pointe du doigt l’inégalité de l’accompagnement en France, et le manque de structures. De même le fait que le cursus des étudiants ne comprend que 20h de cours traitant de la douleur. Elle fait également remarquer que dans les unités de soins palliatifs, si la personne ne décède pas assez rapidement, elle est renvoyée dans sa famille, par manque de place.

 

PC : c’est un autre problème : il faut développer les centres de soins palliatifs mais cela requiert des finances, du personnel formé, des kinés et des médecins spécialisés. Pour en revenir au nombre d’heures de cours sur la douleur, ce n’est pas un problème : ce qui est important c’est que depuis une dizaine d’années, cela soit au programme du concours.

 

Une intervenante : la douleur a été une priorité de soins (notamment dans le plan cancer). Actuellement, on sait quantifier la douleur. Il y a eu des progrès énormes.
 

Une intervenante soulève le problème d’une jeune fille dans le coma depuis 17ans et bénéficiant d’une assistance alimentaire ; la famille a demandé d’arrêter la perfusion… Peut-on supprimer une assistance alimentaire qui entrainera la mort ?

 

Une autre intervenante fait part d’une femme qui s’est laissée mourir par refus de soins. En tant que catholique, a-t-on le droit de ne pas se faire soigner ?

 

PC : on a le droit de ne pas se faire soigner ; ce qui est important c’est d’être informé. Cela fait partie du rôle du médecin d’expliquer les conséquences. Actuellement la médecine française entre dans une ère où les problèmes médico légaux sont de plus en plus importants : il faut que tout soit consigné.
J’écris tout désormais dans mes rapports de consultation (les raisons du refus de soins) Le dialogue et la compréhension de part et d’autre sont obligatoires.

 

Une intervenante : en tant que catholique a-t-on le droit de ne pas se soigner ?

 

Père Rémy : dans certaines confessions, on refuse par exemple la transfusion : c’est un refus actif de soin. Chez les catholiques aucune indication à cet égard n’a été énoncée par le Magistère ou par d’autres autorités ecclésiastiques. Aucun soin n’est considéré comme mauvais à condition qu’il soit moralement acceptable.

Exemple du ‘’bébé médicament’’ : c’est une situation très limite.

A la fin du 19ème siècle, il y a eu des difficultés de la part de la hiérarchie à l’égard des vaccinations parce qu’on injecte la maladie : on disait que c’était inacceptable. Depuis on a changé de point de vue.
Entre ce qui est légalement possible et éthiquement acceptable et ce qu’il ne l’est pas, il y a encore du travail pour affiner notre regard.

 

Un intervenant : il y a un problème que l’on escamote, c’est le problème économique. Jusqu’où doit on aller ?

 

Un autre intervenant : au niveau de l’acharnement thérapeutique, mais les soins palliatifs ce n’est pas cela. Je suis le doyen des médecins présents : j’ai vu apparaitre les soins palliatifs et les groupes qui se sont formés. Pour nous médecins, c’est une sacrée conversion car on est passé de la toute puissance médicale où l’on pensait pouvoir guérir à 100%, à la reconnaissance des situations d’échec. Il a fallu accepter d’entrer dans cette démarche palliative. Cette notion palliative, on la retrouve désormais dans diverses situations. Il ne faut pas stigmatiser la santé en disant : nous faisons du palliatif ; beaucoup de gens font du palliatif : c’est la société entière qui accompagne les malades et les familles. Les aumôneries dans les hôpitaux ont trouvé leur place d’autant plus facilement que les pouvoirs publics ont mis en évidence qu’il y avait des besoins spirituels. Nous sommes tous concernés par cette démarche de soins palliatifs ; les soignants font ce qu’ils peuvent, mais il manque des lits identifiés de soins palliatifs dans les établissements ; néanmoins la démarche de prise en charge existe
En ce qui concerne le coût, c’est l’acharnement thérapeutique qui coûte cher (médicaments sur une longue durée) les soins palliatifs, quant à eux demandent surtout du temps et du personnel.

 

PC : c’est dur pour les infirmières de voir décéder un malade, mais c’est encore plus dur de voir le malade abandonné dans un autre service, et dont on ne s’occupe plus jusqu’au bout
Pour revenir sur la question provocante, cela me rappelle une réflexion de Jacques Attali qui avait dit : il faudrait que la société réfléchisse si elle tient beaucoup à continuer à s’occuper des personnes âgées de plus de 70ans.

 

Père Rémy : pour compléter cela, je sais qu’un projet prévoit de permettre aux gens de vivre à peu près dignement jusqu’à 100ans. Sur le plan technique, aujourd’hui, on pourrait vivre jusqu’à 140ans
La technique va  de plus en plus aller vite que la possibilité de la maitriser ; même si il y a une maitrise dans la compétence du médecin, là il s’agit de la maitrise de la situation du point de vue éthique et politique, et donc aussi  économique .

 

Une intervenante : la moyenne de vie d’une personne qui vit dans la rue est de 46 ans et personne ne s’en préoccupe alors que certaines personnes sont prises en charge jusqu’à 100 ans…

 

Un intervenant : une question n’a pas été du tout abordée : celle de la vérité. Pourquoi le médecin ne dit-il pas la vérité ni au malade, ni à la famille ?

 

PC : il y a un article du code qui dit : on doit donner l’information utile, compréhensible par le malade.
Statistiquement, pour certains cancers, s’ils ne sont pas opérables, l’espérance de vie est de 4 mois, mais cela peut durer plus longtemps ;
Un cas : une jeune fille de 19 ans atteinte d’une leucémie. Dans 80% des cas, une leucémie après un traitement de départ guérit, et il y a ensuite à éviter les rechutes. Chez cette jeune fille, le premier traitement a échoué, le second aussi, et le troisième également. On savait statistiquement qu’en cas d’échec du traitement, l’espérance de vie est de 2 mois. J’ai vu les parents dont c’était la fille unique. Bien sur, je n’ai pas dit, elle n’en avait  que pour 2 mois, mais j’ai expliqué qu’on avait essayé tous les traitements mais que malheureusement, c’était une forme rebelle de leucémie, et que finalement, la maladie l’emporterait. On a engagé un traitement palliatif ; j’ai proposé qu’elle rentre chez elle : je la voyais tous les 15 jours ; on faisait des traitements différents (antibiotiques, perfusions). A chaque visite les parents me demandaient si elle allait guérir. Il y a des choses qui sont inaudibles quoi que vous disiez. Les parents ne pouvaient pas comprendre qu’elle était condamnée. Elle a survécu un an et demi, a fêté ses 20 ans avant d’être rattrapée par la maladie qui l’a emportée en 3 jours.
Les parents sont venus me voir en me reprochant de ne pas leur avoir dit qu’il n’y avait rien à faire, et de ne pas avoir tout fait pour la sauver. Quand c’est inaudible, on peut dire ce que l’on veut.
Dans l’information au malade, sans faire de langue de bois, ce qu’il faut dire : soit il y a une chance de traitement avec des risques éventuels, soit il n’y a plus de chance et ce sera le traitement palliatif, avec le risque qu’il y ait une infection mortelle. Mais dire, dans 3 mois ce sera fini, c’est quelque chose que je ne trouve pas pertinent et faux pour un individu donné.

 

Un intervenant : l’information, désormais, les patients l’ont par le biais d’internet. Le rôle du corps médical va changer : cela consistera à recevoir des patients informés et de leur dire que leurs informations sont des informations générales mais qu’ils sont une personne donnée.

 

Un intervenant : le médecin peut donner des informations positives :  sur  ce que l’on peut faire, mais jamais ce que l’on ne peut pas faire.

 

PC : je suis d’accord, je me débrouille toujours pour laisser une lueur d’espoir, une lueur au fond du tunnel, même au dernier stade de la maladie. Il y a toujours de quoi se reposer sur quelque chose qui soit un peu d’espoir, mais il faut parler des risques.

 

L’intervenante médecin : c’est important de parler vrai et sincère et de savoir reconnaitre ses limites, dans chaque discipline ; savoir orienter le patient sur une autre filière de soins et dans certains cas pathologiques, il est difficile de dire que la récupération sera médiocre.

 

Un intervenant : Voltaire disait de la médecine : l’art de distraire le malade pendant que la nature le guérit.

 

Une intervenante : mon père est resté 9 mois dans le coma avec une sonde gastrique : le médecin m’a dit, c’est obligatoire, on ne peut pas le laisser mourir de soif ; pour moi c’est un problème car c’est de l’acharnement.

 

L’intervenante médecin : je connais un peu les comas, mais il y a plusieurs sortes de comas. Dans le coma dépassé, il y a une mort clinique, il n’y a plus d’activité cérébrale : on est dans autre chose, dans une mort déclarée ; si elle est déclarée par 2 médecins différents, on débranche.
Il ne faut pas confondre avec les états végétatifs profonds qui peuvent être chroniques, la personne est en vie.

Toute décision de débrancher un malade est une décision collégiale. On débat en équipe et avec la famille : personne ne voudrait porter seul cette responsabilité.
Quand on parle de coma, c’est un terme générique qui englobe différents stades.

 

Une intervenante :j’ai eu le témoignage d’une infirmière de nuit à qui les médecins laissaient un cocktail lytique à administrer à tel et tel patient et qui était révoltée de devoir faire cela. Je ne sais pas si cela a toujours cours.

 

PC : cela ne se fait plus mais je ne serais pas étonné que cela ait existé.

 

Père Rémy : a-t-elle le droit de refuser et dans ce cas, quelles sont les conséquences pour son travail ? si c’est contraire à sa déontologie personnelle ?

 

Un intervenant : lorsque j’enseignais à l’école d’infirmières, je leur disais que si elles recevaient un ordre qui ne leur paraissait pas conforme à la morale, à l’éthique, elles devaient refuser.

 

Père Rémy : Il y a une différence entre l’éthique de la déontologie et la conscience personnelle qui est un second filtre, mais déjà le premier filtre est toujours plus objectif que le second. La personne en question pouvait refuser puisqu’elle avait la loi derrière elle, mais quand il s’agit de convictions religieuses… est ce que la conscience personnelle peut aller à l’encontre de qui est dans le code de déontologie ?

 

Un intervenant : c’est la liberté des personnes.

 

Une infirmière : tous les patients demandent des doses de morphine. En fin de vie, il y a un processus de deuil psychologique ; mais si le patient ne souffre pas, il est beaucoup plus apaisé, surtout s’il est en harmonie avec sa famille.

 

Un intervenant : c’est bien que vous évoquiez la fin de vie : je me souviens d’un symposium avec des infirmières qui travaillaient en soins palliatifs qui nous ont dit : ne leur volez pas leurs derniers instants, avec vos théories.

 

Une infirmière : la mort fait partie du domaine de la santé : on la calcule, on calcule l’âge. Il y a un manque de moyens criant : dans un même service, on peut rencontrer des personnes en fin de vie, des malades d’Alzheimer : il n’y a pas d’espaces de calme et de silence. C’est dur aussi pour les familles : elles ne supportent pas les fins de vie.

 

Une intervenante : pourriez-vous nous dire Père Rémy, tout ce qui peut se passer sur le plan spirituel pendant les dernières semaines de vie.

 

Père Rémy : Prendre soin jusqu’au bout, ce n’est pas seulement prendre soin jusqu’au bout, mais également après, et pas seulement par rapport au corps humain, mais aussi par rapport à l’entourage. Dans un accompagnement spirituel, nous voyons très bien les 3 phases : avant la mort, au moment du décès, et jusqu’à la célébration ; Ce qui est frappant, c’est la personne en fin de vie qui n’arrive pas à mourir parce que les derniers pardons n’ont pas été donnés ou reçus et tant que cela n’est pas fait, la personne ne meurt pas : elle fait des appels, et quand cela arrive, elle part dans un apaisement extraordinaire.
Un exemple frappant d’accompagnement : Gérard disait je suis prêt. Il a vécu une conversion incroyable, une prise de conscience fulgurante sur son lit de mort, et il était prêt alors que ce n’était pas encore le moment : cette attente était très pénible. Ce sont des moments très riches qui semblent être des moments exaltants, comme cette petite fille qui disait de sa grand-mère, le jour de son enterrement : ma grand-mère me disait : n’aie pas peur de la mort, elle fait partie de la vie. Elle nous a répété cela pendant la célébration : ce sont des moments poignants.
Je me rappelle d’une célébration avec une famille très désunie : les premiers sont arrivés, se sont mis au fond au milieu, les seconds sont arrivés par un autre endroit pour ne pas croiser les premiers, les troisièmes ont joué le rôle d’entremetteurs, pour essayer de ramener le calme.
L’organiste m’a dit : je ne sens pas cette célébration ! c’est une catastrophe ! Je lui ai dit : la seule solution c’est de jouer la Toccata ‘’à fond la caisse’’ pour les impressionner, et cela a marché !

Ce sont des soins palliatifs que nous avons fait à cette famille pour leur permettre de se retrouver un peu.
Je souhaiterai d’ailleurs débattre en paroisse, sous forme de conférence-débat sur cette question : qu’est-ce que cela veut dire prendre soin jusqu’au bout quand il s’agit de passer par l’église ?  on réduit le champ d’investigation.

Pour terminer, ce que j’ai retenu, c’est que les désirs d’euthanasie des autres, c’est un concept de bien portant. Cela en dit long sur la maitrise, d’une part, et sur la démaitrise par rapport à la réalité telle qu’elle existe, parce qu’elle est beaucoup plus riche, beaucoup plus complexe, beaucoup plus profonde que ce qu’on voudrait maitriser, parce qu’on sait bien que, dans notre esprit humain, la part de ce que l’on voudrait maitriser est toujours plus petite que ce qui existe.
Mais à l’occasion de passer à l’acte pour maitriser, on règle l’affaire avec le reste, on supprime tout le reste, et de ce fait, on ne donne pas la place à tout le reste qui ne peut pas être maitrisé, qui ne doit pas être maitrisable et qui doit être laissé, non pas pour compte, mais à être pris en compte, mais de quelle manière ?
C’est dans cette distinction que je trouve la clé pour moi : d’un côté l’obligation de donner des soins, avec la possibilité de refuser et de l’autre côté, non pas en opposition, mais en complémentarité absolument nécessaire pour que l’ensemble de soins apportés produise des effets qui, justement ne concernent pas le simple désir de maitriser, mais de prendre en compte la réalité dans sa complexité, dans sa globalité de mystère c’est à dire d’un côté obligation de donner des soins et de l’autre côté, tout simplement prendre soin.