2008/11/11 - Homélie - Mémoire et oubli : un devoir ou deux ?

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1° 90 ans : si loin et si prêt.

90 ans nous séparent, et nous relient en même temps, c'est tout comme pour la vie de quelqu'un qui atteint cet âge ou plus.  Les souvenirs s'entremêlent, ceux des événements les plus anciens prennent de la place, car ils remontent à la surface de la conscience avec de plus en plus de vigueur.

Ceux de temps plus récents pour beaucoup s'effacent, comme si ils laissaient place à ce qui émerge du passé et qui réclame de la reconnaissance pour les fondations de la vie dont les souvenirs sont des témoins. C'est ainsi pour la mémoire individuelle, mais ce n'est pas ainsi pour la mémoire collective ?

 

2° La mémoire collective

Elle est tributaire des vents de l'histoire qui en donnent la direction et le contenu. Ne nous étonnons pas que la mémoire  évolue avec  les générations qui se succèdent.

Dans notre rapport à la Grande Guerre on peut distinguer quatre phases suivantes:

1° le temps de la grande guerre : les soldats en l'immense majorité ont consenti à cette guerre, dans l'esprit patriotique, ils ne faisaient que leur devoir. Dans les défilés de 1919 il n'y a pas des soldats valides, mais ils ne se pensaient pas en tant que victimes. Il y avait seulement les mutilés non pas pour les plaindre mais pour  honorer leur esprit de sacrifice.

2° vient le temps des bilans et les générations d'avant et d'après la deuxième guerre mondiale vont s'intéresser au soldat écrasé par la peur. La guerre est devenue détestable et le poilu est dépossédé de son statut de héros victorieux.

3° dans les années 60, 70 et même 80 : on peut même y introduire de l'humour, voire de l'ironie. Coluche pouvait se permettre à la télévision de prendre à partie un médaillé de 14-18 à partie sans soulever une moindre protestation. Impensable aujourd'hui.

4° le temps actuel est marqué par la sacralisation de la figure de poilu. Emile Poulat parle d'une sacralité laïque.


 
***

 

Le tout est couronné par les déclarations du style " nous ne les oublions jamais " en rejoignant ainsi la vie individuelle de nos proches disparus à l'égard desquels nous faisons ces mêmes déclarations.

 

3° Ce qu'il faut retenir

Qu'est-ce qu'il faut retenir de la mémoire qui est toujours sélective et évolutive ?
Exemple de la première lecture de Paul à Tite  (chapitre 2, 1-8, 11-14) :
Dans le passage d'aujourd'hui  Paul parle des femmes (qui ne se priverait d'y trouver la thèse de Paul anti-féminin ainsi accrédité), mais dans le passage précédent  il parle avec la même vigueur des hommes et de leur responsabilité, le tout étant à situer dans le contexte des exhortations qu'il fait pour la vie des communautés chrétiennes et leur structures selon les données culturelles de l'époque.  Sans oublier la nécessité de confronter ce texte avec d'autres où Paul parle de l'égalité entre Homme et femme etc.

Donc en sachant que l'ignorance toute ordinaire contribue aussi à la mémoire courte, pour avoir une vue d'ensemble, il faut chercher sur un champ large.

C'est dans cette perspective que nous avons à entendre l'Evangile d'aujourd'hui qui nous interroge : de quelle mémoire sommes-nous des serviteurs et pourquoi ?

En régime chrétien, faire mémoire c'est faire tout converger sur la vie, la passion et la mort du Christ, ses événements étant lus à la lumière de sa Résurrection.

La mémoire est indispensable à la vie, faire mémoire des événements fondateurs de la prise de conscience individuelle et collective ponctue notre histoire.  Mais trop de mémoire, c'est comme avec la pub et bien d'autres choses, tue la mémoire. Combien de personnes, combien de peuples dans leur identité culturelle voire religieuse ploient sous le poids des mémoires. Les mémoires  qui finissent par obstruer l'horizon de la Vie possible, de la vie qui de toutes les façons se construit toujours sur les plaies, mais qui, hélas ! se nourrit si souvent de leur puanteurs.

 

4° La mémoire et l'oubli : un devoir ou deux ? Plutôt deux en un !

Car le devoir de mémoire et celui de l'oubli ne peuvent  être pris en compte de façon sérieuse ni avoir une fonction vitale pour ceux qui les portent et pour les générations futures qu'à condition d'être tous les deux reliés voire  relayés et donc soutenus par le pardon.

C'est le pardon qui leur donne du sens et les revitalise dans le but de servir la vie et non pas de voir la Vie être au service de la mémoire et ou de l'oubli, les deux, mémoire et oubli, si souvent  encombrant autant l'espace vital individuel que le collectif.

Et dans tout ce travail de pardon, aurions-nous la simplicité de reconnaître, comme  l'ont à dire  ceux de l'Evangile d'aujourd'hui " Nous sommes des serviteurs quelconques ; nous n'avons fait que notre devoir "  (Lc 17, 10).