2012/10/28 - Journal - LA PESTE

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Entre la peste et le choléra.


La peste se dit en polonais  cholera ou dzuma.  


Entre la peste et le choléra, il n’y a certainement pas à choisir. Je prends les deux, et joyeusement, pas du tout dans  un esprit mortifère, bien au contraire, comme une récompense d’une double appartenance, déjà tout au moins linguistique, mais certainement bien par delà la complémentarité de deux langues. Je prends les deux comme signe d’appartenance à la vie qui se défend, comme elle peut, mais tout de même.


Lors de mon escapade en France,  en octobre dernier, j’ai trouvé chez ma nièce  dans le WC, le livre  qui m’était bien connu. J’avais lu La Peste dans mon adolescence, en polonais, l’occasion fut alors trop belle pour ne pas succomber à la tentation de m’y remettre, mais cette fois-ci en français.  Le décalage horaire aidant, il y a du bon dans cela aussi,  je me suis plonge de façon nocturne, mais avec une acuité diurne, ramenée de Hong Kong où je venais de passer le premier mois de ma nouvelle mission.


J’y ai retrouvé, l’intensité de l’émotion qui montait  au fur et à mesure de la description de l’apparition de l’épidémie dans laquelle, le bal funèbre fut ouvert avec le  premier rat mort trouvé à la surface de la vie des humains.  J’ai aussi retrouvé l’intact, bien que légèrement plus voilé que le rat, le constat de la mort du gardien d’immeuble où habitait le Dr Rieux, le  héros du livre. En revanche j’ai entièrement perdu trace du sermon du jésuite et du débat qui s’en est suivi dans la ville. Ville assiégée, ville fermée, ville interdite, ville dont personne ne pouvait s’échapper, à moins d’être emporté par la mort, fusillé par le destin, d’une manière ou d’une autre. Destin, je me  souviens du jeu entre la raison de vivre et la manière dont celui-ci tricote le dessein en décidant souverainement où et à quel moment couper les vivres à l’existence en finissant par couper le fils de la vie. J’avais en mémoire la femme du médecin envoyée ailleurs pour être soignée, je ne savais plus ce qu’elle était devenue. Encore moins clairement, mais tout de même, j’avais un vague souvenir des agitations du journaliste qui, cherchant à tout prix une porte de sortie honorable, voulait franchir le mur. La relecture à remis tout cela d’équerre.


La relecture m’a permis de revisiter aussi les lieux de mémoire du passage de la peste. Je les ai pratiquement, tous, visité. Constantinople, Canton, Athènes, Marseille, Jaffa, Milan, Londres, d’autres villes chinoises, européennes, et d’ailleurs, toutes  unies,  par un même destin, celui de tuer, comme des rats, d’abord les rats et puis les humains. Comme à la guerre, on envoie d’abord des leurres puis de vrais soldats  avec de vrais équipements pour tuer. Mais, à la guerre, on s’y trompait parfois aussi, en envoyant des vrais soldats comme de lueurs, c’est dire que dans les guerres, comme avec des rats, tout au moins au début,  on se trompait toujours, et le pire n’était qu’à venir. Tout au début, les rats n’étaient que la cible de quelques réflexions, plus ou moins lourdement  chargées d’imagination qui conjure la mort par des barrières qu’elle croit infranchissables jusqu’au moment où, comme des barrages, trop chargés, sous pression, elles cèdent.   Et quand les rats sortent par centaines, voire milliers, à l’infini, avec leur cortège de plaintes souterraines, il n’y a pas de doute, l’affaire est grave. Il ne suffit pas de savoir les enterrer de nouveau, il faut encore enterrer les corps des humains, pas de la même façon, pas au même endroit,  bien que cette double séparation puisse aussi, parfois, finir par céder, par endroit, à force de... justement à force  de manquer de la force pour.    
Mon enfance est marquée par la mémoire de trois cimetières qui jalonnaient la géographie tout aussi topographique que la topographie symbolique. La géographie symbolique qui donc en résulte, a apposé son maillage indélébile, sur les boursouflures de la plaine  légèrement pliée aux grés de la présence d’une rivière,  bien que paisible dans son cours insouciant,  mais  non sans effet pour la topographie de la croûte terrestre de la région. Un des trois, le plus proche de la maison natale et où j’ai grandi, est le résultat du choléra, durant la première guerre mondiale, appelée en France grippe espagnole. Je n’entre pas dans les détails techniques de la distinction de nature biologique et médicale entre ses différents fléaux, j’entre juste dans un de ces innombrables, certes,  tunnels par lequel est conduit la vie pour  se dire adieux, entre la peste et le choléra.


J’ai fini la lecture à temps, avant de repartir pour l’Asie, j’ai même demandé à ma nièce si je pouvais prendre le livre avec moi,  avec une idée en tête, celle de pouvoir le reprendre pour écrire. Non, parce que c’est la lecture obligatoire d’Elia, sa fille et ma filleule. J’ai vu, qu’en effet un signet était mis entre les pages 48 et  49, la lecture s’étant certainement arrêtée sur cette remarque faite par Dr Rieux au sujet de Mr Grand, ce fonctionnaire modeste qui continuait à chercher ses mots,  : « Exactement, il [Rieux] n’imaginait pas la place de ces manies [celles de Grand] au milieu  de la peste et il jugeait donc que, pratiquement, la peste était sans avenir parmi nos concitoyens ». J’ai rendu le livre à ma nièce et suis reparti pour Hong Kong où sans tarder,  j’ai cherché  à en trouver un exemplaire. Là aussi sur la page de couverture je retrouve la même citation : « Naturellement, vous savez ce que c’est, Rieux ? J’attends les résultats des analyses ».